voici un extrait d’un bouquin d’un psy qui ne peut que nous conforter dans notre dé marche
c’est un peu long mais édifiant
Prozac ou Adidas ?
La panique de Bernard
Bernard est producteur de cinéma; à quarante ans, tout semble lui réussir. Il est grand, élégant, et son irrésistible sourire a dû lui gagner la confiance des gens de son milieu: comment ne pas tomber immédiatement sous son charme ? Pourtant, Bernard est au bout du rouleau. À cause des attaques d’anxiété qui empoisonnent sa vie depuis deux ans.
La première fois, c’était lors d’un déjeuner d’affaires dans un restaurant plein à craquer. Tout se déroulait très bien lorsqu’il s’est subitement senti mal. Il avait la nausée, son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et il avait du mal à respirer. Il avait aussitôt pensé à un de ses amis d’enfance, foudroyé l’année précédente par un infarctus. A cette idée, son cœur s’était mis à battre encore plus fort et il était devenu incapable de penser à quoi que ce soit d’autre. Sa vue s’était brouillée, il avait l’impression que les gens et le décor autour de lui devenaient étrangement distants, comme s’ils n’étaient pas réels. En un instant, Bernard avait compris qu’il était en train de mourir. Il avait murmuré une vague excuse et s était dirige en titubant vers la sortie du restaurant. Tout de suite il avait hélé un taxi et s’était rendu aux urgences de l’hôpital le plus proche. Là, on lui avait appris qu’il n’était pas mourant. Au contraire, on avait expliqué qu’il venait simplement d’avoir sa première attaque d’anxiété ou, plutôt, de « panique ».
Une personne sur cinq victime de ce type d’attaque est d’abord vue aux urgences d’un hôpital, pas chez le psychiatre ( et près de la moitié de ceux-ci arrivent en ambulance !). Effectivement, au cours des deux années suivantes, Bernard était souvent passé par les urgences, ainsi que chez plusieurs cardiologues. On lui avait assuré de manière répétée que ses symptômes n’étaient pas d’origine cardiaque, et on lui avait même prescrit du Xanax, un tranquillisant, « pour vous relaxer », lui avait-on dit.
Au début, ce médicament l’avait beaucoup aidé. Les attaques avaient cessé, et il s’était mis à compter chaque fois plus sur sa petite pilule. Il avait même commencé à en prendre quatre fois par jour pour éviter que l’anxiété ne le gêne dans son travail. Progressivement, il s’aperçut que, s’il était un peu en retard pour sa dose suivante, l’anxiété était plus intense. Un jour, alors qu’il était à l’étranger, on lui avait volé ses bagages. Il s’était brutalement retrouvé sans Xanax. Au bout de quelques heures, l’anxiété était si grande, son cœur s’était mis à battre si fort, qu’il s’en souvient encore aujourd’hui comme le pire jour de sa vie. Une fois rentré de voyage, il s’était promis de se libérer de sa dépendance au Xanax et de ne jamais en reprendre.
Quelques années plus tôt, Bernard avait remarqué que, s’il faisait trente minutes de natation, il se sentait mieux pendant une heure ou deux. Il reprit donc la natation, mais la sensation de bien-être ne durait pas assez longtemps. La mode du « cycling », le vélo d’intérieur intensif pratiqué en groupe, faisait fureur et Bernard se laissa convaincre par un ami d’essayer. Trois fois par semaine, dans une salle où douze personnes se déhanchaient sur une bicyclette immobile, il se plia au rythme effréné imposé par un instructeur qui ne laissait personne baisser les bras. La pulsation de la musique techno et l’émulation de ses voisins l’encourageaient à tenir pendant toute l’heure que durait l’exercice. Il sortait de ces séances à la fois épuisé et d’excellente humeur. Cette sensation intense de bien-être perdurait pendant des heures. De fait, il comprit assez rapidement qu’il ne devait pas faire de cycling après sept ou huit heures du soir s’il voulait dormir. Mais le résultat le plus remarquable fut qu’il se mit à avoir bien plus confiance en sa capacité de faire face aux attaques de panique. En quelques semaines, celles-ci disparurent complètement…
Aujourd’hui, deux ans plus tard, Bernard continue de parler des bienfaits étonnants du cycling à quiconque veut bien l’écouter. Il pratique toujours ce sport au moins trois fois par semaine, surtout lorsqu’il stresse. Il n’a plus jamais eu d’attaque.
Bernard se décrit comme « un accro du cycling », et ce n’est pas faux. S’il cesse de faire du sport, il se sent mal au bout de quelques jours. Quand il voyage, il veille à toujours emporter des chaussures de jogging pour « relâcher la tension », comme il le dit lui-même. Toutefois, c’est une toxicomanie qui ne lui fait que du bien: elle lui permet de maîtriser son poids, accroît sa libido, améliore son sommeil, réduit sa tension artérielle, renforce son système immunitaire, le protège contre les maladies cardiaques et même contre certains cancers. S’il en est « dépendant », son intoxication à l’exercice lui donne le sentiment de mieux maîtriser sa vie; exactement l’inverse de ce qui se passait avec le Xanax.
Un traitement pour l’anxiété… et les cellules immunitaires
Bernard n’est pas seul. Ce qu’il a découvert par lui-même, Platon en parlait déjà, et, au cours des vingt dernières années, la science occidentale en a fait la démonstration: l’exercice est un traitement remarquable de l’anxiété. À ce jour, les études sur le sujet sont si nombreuses qu’il existe même plusieurs « études d’études » – des « méta-analyses 1 ». Une étude porte même précisément sur les bienfaits de la bicyclette stationnaire – bien moins intense que le « cycling » dont Bernard était adepte – laquelle montre effectivement que la plupart des participants font l’expérience d’un regain d’énergie tout en se sentant plus détendus 2. Cette étude constate aussi que les effets positifs sont toujours présents un an plus tard, la grande majorité des participants ayant choisi d’eux-mêmes de continuer leur exercice de façon régulière.
Plusieurs autres études suggèrent que, plus l’on est « déconditionné » – c’est-à-dire plus on s’est laissé aller aux aléas des repas trop lourds, des déplacements en voiture, et des heures passées devant la télévision -, plus l’exercice physique, même à petite dose, fera sentir rapidement ses bienfaits3.
Bernard avait aussi raison d’augmenter sa dose d’exercice pendant les périodes de stress accru. À l’université de Miami, le docteur LaPerrière s’est penché sur l’effet protecteur de l’exercice dans les situations difficiles. Il a choisi un des moments les plus terribles de l’existence: celui où l’on vous annonce que vous êtes séropositif pour le virus du sida. A l’époque où il faisait cette étude – bien avant la découverte de la tri thérapie, ce diagnostic équivalait à une sentence de mort. A chacun de s’en débrouiller psychologiquement. Ce que LaPerrière a constaté, c’est que les patients qui faisaient de l’exercice régulièrement depuis au moins cinq semaines semblaient être « protégés » contre la peur et le désespoir. En outre, leur système immunitaire, lequel s’effondre souvent dans les situations de stress, résistait mieux, lui aussi, à cette terrible nouvelle. Les cellules « natural killer » (NK, les « tueuses naturelles » ) sont la première ligne de défense de l’organisme tant contre les invasions extérieures – comme le virus du sida – que contre la prolifération de cellules cancéreuses. Elles sont très sensibles à nos émotions. Plus nous nous sentons bien et plus elles font leur travail avec énergie. Par contre, lors des périodes de stress et de dépression, elles ont tendance à se désactiver ou à cesser de se multiplier. Dans le cas des patients qui ne faisaient pas d’exercice, c’est exactement ce que LaPerrière a observé: leur taux de cellules NK chutait brutalement après l’annonce du diagnostic, à l’inverse de celui de patients qui faisaient de l’exercice régulièrement4 !
L’instruction de Xaviera
La dépression bénéficie aussi d’un peu de jogging. Dans un des premiers articles modernes sur le sujet, le docteur Greist raconte l’histoire de Xaviera. Cette étudiante de vingt-huit ans préparait une deuxième maîtrise à l’université du Wisconsin. Elle vivait seule, sortait rarement en dehors de ses cours et se plaignait toujours de ne pas trouver un homme qui lui convienne. Son existence lui semblait vide et elle avait perdu espoir de voir cela changer un jour. Sa seule consolation, c’étaient les trois paquets de cigarettes qu’elle fumait chaque jour, en regardant les volutes de fumée s’élever dans les airs au lieu de se concentrer sur ses notes de cours. Elle fut à peine surprise lorsque le médecin du dispensaire de l’université lui annonça que son score sur une échelle de dépression était supérieur à celui de 90 % des patients du centre. Cela faisait deux ans que sa dépression durait, et aucun traitement ne lui semblait acceptable. Elle n’avait pas envie de parler de sa mère et de son père ni de ses problèmes avec une psychologue, et elle refusait de prendre des médicaments parce que, comme elle disait, « je suis peut-être déprimée, mais je ne suis pas malade ». Peut-être par défi, elle accepta néanmoins de prendre part à une étude qu’était en train de réaliser le médecin: elle devrait courir trois fois par semaine entre vingt et trente minutes, seule ou en groupe, selon sa préférence.
Lors de son premier rendez-vous avec son moniteur de jogging, elle se demanda si ce n’était pas une blague: comment pouvait-il s’imaginer qu’avec ses trois paquets de cigarettes par jour, son manque total d’exercice depuis l’âge de quatorze ans et ses dix kilos de trop, elle pouvait participer à une étude sur les effets du jogging ? La dernière fois qu’elle s’était laissé convaincre de faire du vélo, elle avait tenu dix minutes et avait cru qu’elle allait mourir. Elle s’était juré de ne jamais recommencer… Et puis l’idée qu’il fallait un moniteur pour apprendre à courir lui paraissait encore plus ridicule.
Qu’y avait-il à apprendre ? Mettre un pied devant l’autre plus vite qu’en marchant ? Elle écouta quand même les conseils qu’on lui donnait. Ils devaient s’avérer absolument essentiels à sa réussite future : d’abord, il fallait faire de tout petits pas, trottiner plutôt que courir, en se penchant à peine vers l’avant, et sans lever trop les genoux. Il ne fallait surtout pas aller trop vite au point d’empêcher de poursuivre une conversation ( « il faut pouvoir parler, mais pas chanter », lui répétait l’instructeur). Si elle s’essoufflait, il fallait ralentir, voire se mettre à seulement marcher d’un pas vif. Elle ne devait jamais ressentir ni douleur ni fatigue. L’objectif de départ était simplement de parcourir un kilomètre et demi, en prenant le temps qu’il fallait mais en essayant de trottiner autant que possible. Le fait d’être parvenue à atteindre, dès le premier jour, l’objectif qu’on lui avait fixé fut déjà un motif de satisfaction. Au bout de trois semaines, à raison de trois séances hebdomadaires, elle était devenue capable de garder son rythme de trot sur deux, puis trois kilomètres, sans trop de difficulté. Elle fut aussi bien obligée de constater qu’elle allait un peu mieux. Elle dormait mieux, avait plus d’énergie et passait bien moins de temps à s’apitoyer mentalement sur son sort. Elle progressa ainsi, se sentant chaque jour un peu mieux, pendant cinq semaines.
Et puis, un jour, elle força un peu trop sur la fin de son parcours et se foula la cheville. Pas assez pour être immobilisée, mais suffisamment pour être interdite de course à pied pendant trois semaines. Quelques jours plus tard, elle fut la première étonnée d’être déçue de ne pas pouvoir se rendre à sa séance de jogging. Une semaine encore sans courir et elle s’aperçut que ses symptômes de dépression commençaient à revenir: elle broyait du noir et était pessimiste à propos de tout. Cependant, lorsqu’elle put enfin reprendre ce qui était devenu « son » exercice, ses symptômes s’estompèrent de nouveau en quelques semaines. Elle ne s’était jamais sentie aussi bien. Même ses règles, d’habitude si douloureuses, semblaient passer plus vite. Lorsqu’elle reprit le jogging après trois semaines d’interruption, elle annonça à son moniteur, après avoir couru : « Je ne suis plus en forme, mais je sais que ça va revenir, et je me suis sentie mieux que la première fois que j’ai couru. »
Selon le docteur Greist, le médecin qui pilotait l’étude, longtemps après la fin de celle-ci on la voyait encore régulièrement courir le long d’un lac, avec un grand sourire. L’histoire ne dit pas si elle a arrêté de fumer ni si elle a trouvé le grand amours…
L’extase du joggeur
La dépression est toujours associée à des idées noires, pessimistes, dévalorisantes pour soi et pour les autres, que l’on tourne inlassablement dans sa tête: « Je n’y arriverai jamais; de toute façon, ça ne sert à rien d’essayer. Ça ne marchera pas; je suis moche; je ne suis pas assez intelligent( e ) ; c’est toujours comme ça avec moi, je n’ai pas de chance ; je n’ai pas assez d’énergie, de force, de courage, de volonté, d’ambition, etc. ; je suis vraiment au fond du trou; les gens ne m’aiment pas; je n’ai aucun talent; je ne mérite pas qu’on s’intéresse à moi; je ne mérite pas d’être aimé( e ) ; je suis malade, etc. » Même lorsqu’elles sont terribles et injustement catégoriques (comme « je déçois toujours tout le monde », ce qui est forcément faux), le plus souvent elles sont devenues tellement automatiques que l’on ne voit même plus à quel point elles sont anormales ; l’expression d’une maladie de l’âme plutôt qu’une vérité objective. Depuis les années 1960 et les travaux du remarquable psychanalyste de Philadelphie, Aaron Beck -l’inventeur de la thérapie cognitive -, on sait que le simple fait de se répéter ces phrases entretient la dépression et que le fait de les arrêter volontairement met souvent les patients sur la voie de la guérison 6. Une des caractéristiques de l’effort physique prolongé est qu’il permet justement d’arrêter, au moins de manière temporaire, ce flot incessant d’idées noires. Il est rare que celles-ci surviennent spontanément durant l’exercice et, si c’est le cas, il suffit de reporter son attention sur la respiration, ou sur la sensation des pas sur le sol, ou encore sur la conscience de sa colonne vertébrale qui se tient droite, et elles disparaissent d’elles-mêmes.
La plupart des joggeurs expliquent qu’au bout de quinze, trente minutes d’effort soutenu ils entrent dans un état où les pensées sont, justement, spontanément positives, même créatives. I1s sont moins conscients d’eux-mêmes et se laissent guider par le rythme de l’effort qui les soutient et les entraîne. C’est ce qu’on appelle couramment le « high », l’extase du joggeur, et que seuls atteignent ceux qui persévèrent durant plusieurs semaines. Cet état, même s’il est subtil, devient souvent addictif. De nombreux joggeurs ne peuvent plus, au bout d’un certain temps, se passer de leurs vingt minutes de course, même une seule journée.
La principale erreur que font les débutants lorsqu’ils reviennent, tout fiers, du magasin de sport avec leurs chaussures neuves, est de vouloir courir trop vite et trop longtemps. Il n’y a ni vitesse ni distance magique. Comme l’a brillamment démontré Mikhail Csikszentmihalyi, le chercheur des « états de flux », ce qui permet d’entrer dans un état de « flux », c’est le fait de persévérer dans un effort qui nous maintient à la limite de nos capacités. A la limite, et pas plus. Pour quelqu’un qui commence à courir, ce sera forcément une distance courte et à petits pas. Plus tard, il devra courir plus vite ou plus longtemps pour rester « en flux », mais plus tard seulement.
Adidas contre Zoloft
Des chercheurs de l’université Duke ont récemment réalisé une étude comparative du traitement de la dépression par le jogging et par un antidépresseur moderne très efficace: le Zoloft. Après quatre mois de traitement, les patients des deux groupes se portaient exactement aussi bien. La prise du médicament n’offrait aucun avantage particulier par rapport à la pratique régulière de la course à pied. Même le fait de prendre le médicament en plus du jogging n’ajoutait rien. Par contre, après un an, il y avait une différence notable entre les deux types de traitement: plus d’un tiers des patients qui avaient été soignés par le Zoloft avaient rechuté ; alors que 92 % de ceux qui avaient été soignés par le jogging se portaient encore parfaitement bien 7. Il est vrai qu’ils avaient décidé d’eux-mêmes de continuer à faire de l’exercice même lorsque l’étude a pris fin.
Une autre étude de Duke a montré qu’il n’était pas nécessaire d’être jeune ni en bonne santé pour tirer avantage de l’exercice physique. Pour des patients déprimés ayant entre cinquante et soixante-dix-sept ans, le simple fait d’effectuer trente minutes de « marche vive », sans courir, trois fois par semaine, produisait au bout de quatre mois exactement le même effet que la prise d’un antidépresseur. La seule différence était que l’antidépresseur soulageait les symptômes un peu plus vite mais pas plus en profondeurs.
Non seulement l’exercice physique régulier permet de guérir d’un épisode de dépression, mais il permet probablement aussi de les éviter. Dans une population de sujets normaux, ceux qui faisaient de l’exercice au début de l’étude avaient nettement moins de chances de connaître un épisode dépressif au cours des vingt-cinq années suivantes9.
J’ai bien connu ces deux aspects de l’exercice, le traitement des symptômes autant que la prévention, pour en avoir moi-même fait l’expérience. Lorsque je suis arrivé en Amérique à l’âge de vingt-deux ans, je ne connaissais presque personne. Les premiers mois s’étaient remplis d’eux-mêmes avec toutes les activités habituelles des immigrants. En plus des études, très prenantes, il fallait dénicher un appartement, puis emménager. C’était plutôt sympathique, au début, de tout recommencer de zéro, et sans parents pour me dire ce que je devais faire ou pas, ce qui allait et ce qui n’allait pas. Je me rappelle le plaisir de cette liberté; du bonheur simple d’acheter des rideaux, ou même une poêle, pour la première fois. Mais après quelques mois, une fois installé et prisonnier de la routine des études, ma vie s’est trouvée singulièrement dépourvue de plaisirs. Sans ma famille, sans mes amis, sans ma culture, saris mes « endroits », j’ai compris subitement que mon âme s’était desséchée imperceptiblement. Je me souviens en particulier d’un soir où plus rien ne semblait avoir d’importance ni de sens ; il ne me restait que la musique classique, que-, j’écoutais inlassablement au lieu de me plonger dans mes livres de cours. Je me disais même que le seul métier qui pouvait avoir du sens dans un monde aussi froid et indifférent était celui de chef d’orchestre. Comme je n’avais pas la moindre chance d’y parvenir, cela ne faisait qu’aggraver mon pessimisme d’immigrant isolé. Après plusieurs semaines de ce régime, j’ai fini par réaliser que, si je ne réagissais pas, j’allais rater mes examens et que, là, j’aurais de vraies raisons de déprimer. Avoir tout quitté pour venir échouer en Amérique, c’était trop idiot. Je ne savais pas très bien par où commencer, mais je savais qu’il me fallait de toute façon secouer cette torpeur qui me faisait passer des heures assis à ne rien faire d’autre que d’écouter toujours les mêmes cassettes. Je m’étais mis au squash à Paris avant mon départ et j’avais même emporté ma raquette. C’est elle qui m’a sauvé.
Je me suis d’abord inscrit dans un club. Pendant les deux premières semaines, rien n’a changé, sauf qu’il y avait à présent dans ma vie une activité que j’anticipais avec plaisir. Je savais que, au moins trois fois par semaine, j’aurais du plaisir à me dépenser physiquement et en prenant ensuite une longue douche bien méritée. Évidemment, grâce au squash, j’ai aussi rencontré des gens qui m’ont invité chez eux et, petit à petit, j’ai construit une vie sociale un peu plus riche. Pendant longtemps, je n’ai pas su si c’était l’exercice qui m’avait aidé ou mes nouveaux amis. Mais ça n’avait pas tellement d’importance. Je me sentais infiniment mieux et j’étais remis en selle. Plus tard, j’ai appris que, même dans les moments les plus difficiles, si je faisais vingt minutes de course à pied au moins tous les deux jours, le plus souvent seul, j’étais bien mieux armé pour faire face et que je pouvais, en tout cas, éviter les affres de la dépression. Et rien de ce que j’ai pu apprendre depuis ne m’a fait changer jusqu’à aujourd’hui ce qui est ma « première ligne de défense » contre les aléas de la vie.
Stimuler le plaisir
Par quelles mystérieuses voies l’exercice a-t-il un tel impact sur le cerveau émotionnel ? Il y a d’abord, bien sûr, son effet sur les endorphines. Ce sont de petites molécules sécrétées par le cerveau et qui ressemblent beaucoup à l’opium et à ses dérivés comme la morphine et l’héroïne. Le cerveau émotionnel contient de multiples récepteurs pour les endorphineslo, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est si sensible à l’opium qui donne immédiatement une sensation diffuse de bien-être et de satisfaction. L’opium est même l’antidote le plus fort qui soit contre la douleur de la séparation ou du deuil 11. Comme un pirate, l’opium détourne un des mécanismes intrinsèques du bien-être et du plaisir dans le cerveau.
Toutefois, lorsqu’on les utilise trop fréquemment, les dérivés de l’opium entraînent une « habituation », une accoutumance des récepteurs du cerveau. Du coup, il faut augmenter la dose chaque fois pour obtenir le même effet. En outre, comme les récepteurs sont de moins en moins sensibles, les petits plaisirs quotidiens perdent toute leur signification; y compris la sexualité, qui est le plus souvent réduite à néant chez les toxicomanes.
C’est l’inverse qui se passe avec la sécrétion d’endorphines induite par l’exercice physique. Plus le mécanisme naturel du plaisir est ainsi stimulé, en douceur, plus il semble devenir sensible. Et les gens qui font régulièrement de l’exercice tirent plus de plaisir des petites choses de la vie: de leurs amis, de leur chat, des repas, de leurs lectures, du sourire d’un passant dans la rue. C’est comme s’il était plus facile pour eux d’être satisfaits. Or, avoir du plaisir, c’est justement l’inverse de la dépression, laquelle est avant tout définie par l’absence de plaisir, bien plus que par la tristesse. C’est sans doute pour cette raison que la libération d’endorphines a un effet antidépresseur et anxiolytique si prononcé 12. Lorsqu’on stimule de la sorte, par des voies naturelles, le cerveau émotionnel, cela stimule également l’activité du système immunitaire en favorisant la prolifération des cellules « natural killer », en les rendant plus agressives contre les infections et les cellules cancéreuses13. C’est l’inverse qui se produit chez les héroïnomanes, dont les défenses immunitaires s’effondrent…
L’autre mécanisme possible est tout aussi intrigant et rejoint ce que nous avons vu à propos de la cohérence du rythme cardiaque: les gens qui font de l’exercice régulièrement ont une plus grande variabilité du rythme cardiaque et plus de cohérence que ceux qui sont sédentaires14. Cela veut dire que leur système parasympathique, le « frein » physiologique, qui induit des périodes de calme, est plus sain et plus fort. Un bon équilibre des deux branches du système nerveux autonome est un des meilleurs antidotes qui soient contre l’anxiété et les attaques de panique. Tous les symptômes de l’anxiété trouvent leur origine dans une activité excessive du système sympathique: bouche sèche, accélération du cœur, suées, tremblements, augmentation de la tension artérielle, etc. Comme les systèmes sympathique et parasympathique sont toujours en opposition, plus on stimule le parasympathique, plus il se renforce, ; comme un muscle qui se développe, et il bloque tout t simplement les manifestations de l’anxiété.
~ Il existe un tout nouveau traitement de la ! dépression qui est encore à l’étude dans les plus grands centres de psychiatrie biologique expérimentale. Il s’agit de la stimulation du système parasympathique par un appareil implanté sous la peau. Tels ces appareils qui sont censés vous muscler pendant que vous regardez la télévision en faisant se contracter les abdominaux par une petite décharge électrique, ce traitement futuriste prétend activer les propriétés bénéfiques du système parasympathique sans effort de la part du patient. Plusieurs études préliminaires chez des patients qui n’ont réagi à aucun autre traitement semblent très prometteuses15. Je pense pour ma part qu’on peut probablement parvenir exactement au même résultat par l’exercice physique et la pratique de la cohérence cardiaque, même si cela reste réservé aux patients qui sont encore capables de se motiver suffisamment pour entreprendre de telles activités.
Les clés du succès
Même lorsqu’on est convaincu de l’importance d’un exercice régulier, rien n’est plus difficile que de l’intégrer dans son quotidien. Encore plus lorsque vous êtes déprimé ou stressé. Pourtant, quelques secrets très simples rendent plus facile le passage à une vie physiquement plus active.
Tout d’abord, il faut savoir qu’il n’est pas nécessaire d’en faire beaucoup. L’important c’est que l’exercice soit régulier. Selon différentes études, la quantité minimale qui ait un effet sur le cerveau émotionnel est vingt minutes d’exercice trois fois par semaine. La durée semble avoir de l’importance, mais pas la distance parcourue ni l’intensité de l’effort. Il suffit que l’effort soit soutenu au niveau où l’on peut encore parler sans pouvoir chanter. Comme pour certains médicaments, les bienfaits, par contre, peuvent être proportionnels à la « dose » d’exercice. Plus les symptômes de dépression ou d’anxiété sont sévères, plus il faut être régulier et intense. Cinq séances par semaine sont préférables à trois, et une heure de cycling a plus de chances d’être efficace que vingt minutes de marche soutenue. Toutefois, le pire est d’essayer par exemple le cycling, de s’essouffler et se fatiguer, et de ne plus y retourner. Dans ce cas, les vingt minutes de marche seront infiniment plus efficaces !
Il faut commencer doucement et laisser votre corps vous guider. Le but est d’entrer dans l’état de flux décrit par Csikszentmihalyi. Pour cela, il suffit d’être toujours à la limite de ses capacités, et pas plus. La limite des capacités, c’est la porte d’entrée de l’état de « flux ». Quand les capacités augmenteront, ce qui est une conséquence naturelle de l’entraînement, il sera toujours temps de courir plus et plus vite. De ce point de vue, les études disponibles ne tranchent pas entre les formes d’exercice dites « aérobiques », comme la course, la natation, le vélo, le tennis, etc., qui ont tendance à essouffler, et l’exercice dit « anaérobique », comme la musculation. Un grand article de British Medical Journal suggère que les deux semblent être aussi efficaces 16. Ensuite, la plupart des études suggèrent que l’exercice collectif est encore plus efficace que l’exercice individuel. Le soutien et les encouragements des autres, voire simplement l’émulation, au sein d’un groupe qui s’adonne à la même activité, font une grosse différence. Ne serait-ce tout simplement que parce que cela nous motive les jours où il pleut, où on est en retard, où il y a un bon film à la télé, et ainsi de suite… Les gens qui font de l’exercice en groupe se plient mieux à l’impératif de régularité si crucial pour la réussite.
Enfin, il faut choisir une forme d’exercice qui vous amuse. Plus l’exercice est ludique, plus il est facile de s’y tenir. Aux États-Unis, par exemple, il existe dans de nombreuses entreprises des équipes informelles de basket qui se réunissent trois fois par semaine pendant une heure à la fin de la journée. Mais cela peut aussi être du football, à condition que tout cela soit régulier ( et que l’on ne se retrouve pas systématiquement à faire le gardien de but). Si vous aimez la natation et détestez courir, ne vous forcez pas à faire du jogging. Vous ne vous y tiendrez pas. Un conseil qui s’est avéré très utile pour plusieurs de mes patients a été de rendre ludique la pratique du vélo stationnaire ou du tapis de jogging à la maison grâce à leur magnétoscope ou à leur lecteur de DVD. Il suffit de faire l’exercice en face d’un film d’action et de ne s’autoriser à le regarder qu’aussi longtemps qu’on continue. Cette méthode a plusieurs avantages: d’abord, les films d’action – comme la musique dansante – ont tendance à nous activer physiologiquement, et donc nous donnent envie de bouger. Deuxièmement, un bon film a un effet hypnotique qui nous fait oublier le temps qui passe, et les vingt minutes réglementaires s’écoulent bien avant qu’on ait pensé à regarder sa montre. Enfin, comme il est interdit de continuer à visionner le film si on s’arrête, le suspense donne envie de recommencer le lendemain, ne serait-ce que pour connaître la suite… (Comme les machines font du bruit et que l’exercice gêne plutôt la concentration, il est préférable d’éviter les films intimistes… Par ailleurs, le rire n’étant pas compatible avec l’effort physique, il vaut mieux éviter également les comédies…)
Se tourner vers les autres
Jusqu’ici, nous n’avons considéré que des voies d’accès au cerveau émotionnel centrées sur l’individu. Que ce soit la cohérence du rythme cardiaque, l’EMDR, la simulation de l’aube, l’acupuncture, la nutrition ou l’exercice, toutes ces méthodes prennent l’individu comme mesure et comme cible. Toutefois, le cerveau émotionnel n’a pas seulement pour rôle de contrôler la physiologie intérieure du corps. Son autre fonction, non moins importante, est de surveiller l’équilibre de nos relations affectives et de s’assurer que nous avons toujours notre place dans la horde, le groupe, la tribu, ou la famille. L’anxiété et la dépression sont souvent des signaux de détresse qu’émet le cerveau émotionnel lorsqu’il détecte une menace pour notre équilibre social. Pour l’apaiser et vivre en harmonie avec lui, il faut gérer avec plus de grâce nos relations avec autrui. En fait, il suffit d’utiliser quelques principes d’hygiène affective. Ils sont aussi simples et efficaces que très généralement ignorés.
Pour connaître la suite vous reporter au titre du bouquin en début d’article
ca y est j’ai tout lu et c’était vachement intéressant. Moi aussi je cours pour gagner et uniquement pour gagner. Mon seul objectif c’est de niquer toutes ces fiottes ramolies du bulbe!
Comme le docteur y dit, je suis pour la prise de produit stupéfiant avant les courses. La prochiane fois, je vais essayer l’opium car c’est moins violent que le psylocibe mexicana.
Par contre, ou je suis pas d’accord c’est sur les adidas : y a pas pire comme godasse de running. Je conseille plutôt les Nique ou les Rebeuk.
A bon coureur, salut !
Ca y est j’ai tout lu aussi. Tout ça continuer à courir ensemble… c’est déprimant