GRP 240 : le récit de Florent

GRP 240 : Complétement RAID

par Florent dossard 2144, équipe Run et Sens

Mercredi 22 Aout 2012 : 8 heures 30 – Place centrale de vieil Aure

En cette belle journée d’Aout, 73 traileurs composants 20 équipes attendent avec plus ou moins d’impatience le lancement du dénommé GRP 240 soit pour les non initiés le Grand Raid des Pyrénées 240 Km. Les équipes sont appelés une à une, les sacs sont plus ou moins vérifiés, plutôt moins que plus, des balises GPS, 2 par équipe, sont distribuées.

En 2011, une version 0 avait eu lieu sur invitation. Cette année, pour la première édition, l’inscription devait être faite par un capitaine pouvant justifier d’au moins 3 arrivées sur le GRP160 ou l’UTMB. Quelques filles composent les équipes mais pour la plupart, les gaillards ont l’air taillés dans le granit pyrénéen. Parmi ces équipes, l’équipe Run et Sens inscrite par l’inoxydable Jean Luc, multiple finisher de l’UTMB et surtout un des rares à pouvoir justifié 3 GRP160. Dans son équipe, il a réuni 3 équipiers de choc :

  • Laurent, finisher entre autre de la diagonale des fous, le grand raid de la réunion, de l’UTMB et du GRP 160,
  • Denis, émérite coureur vendéen et finisher également de 3 GRP. Jean Luc avait fait l’an dernier une bonne partie du GRP160 en sa compagnie et ils avaient gardé contact. A la recherche d’une équipe pour le GRP 240, Denis s’est joint à l ‘équipe Run et Sens sans trop savoir avec qui il se liait. J’avoue que nous non plus nous ne savions rien de Denis et cela nous laissait un peu perplexe mais nous n’allions pas tardé à découvrir sa véritable valeur.
  • Enfin, Florent 3 fois finischer de l’UTMB et du GRP160 2011 est le 4° équipier de cette équipe homogène. En effet, en 2011, nous avions tous 4 terminé le GRP 160 dans des temps forts honorables compris entre 32 et 34 heures.

En discutant, autour d’un dernier café au goût amer du condamné, il s’avère que plusieurs équipes ont reconnu le parcours. Les conseils fusent sur les meilleurs itinéraires à choisir afin de trouver au mieux les passages clés. Il faut préciser que cette course n’est pas un trail de 240 km comme pourrait le laisser penser son appellation, non il s’agit d’un raid. Quelle est la différence ? Ici, pas forcément de sentiers ou de chemins, pas de jalons tous les 100 mètres comme sur un trail classique, juste un road book décrivant le parcours, un trait sur une carte et une trace GPS. Jean Luc en bon capitaine a chargé la trace sur 2 montres GPS que lui et moi portons à nos poignets. Je me charge également du road book et du tableau détaillant nos temps de passage prévisionnels et les barrières horaires.

Le décor est planté, les sacs sont bouclés avec le matériel obligatoire, environ 6 Kg y compris l’eau. Nous sommes prêts. Les jambes frétillent mais le silence commence à se faire, la tension monte….

9 heures, enfin le départ est donné. Nous sommes d’accord pour dire qu’il est un peu tardif. En effet, en cet fin août, il fait déjà chaud dans le fond de la vallée d’Aure. Qu’importe, nous nous sommes abondamment hydratés d’une boisson rousse ou blonde ces 3 derniers jours au camping du Lustou, respectant à la lettre les consignes adressées aux automobilistes empruntant l’autoroute. Le message était clair : « Canicule, hydratez vous abondamment ».

En route pour l’aventure

Une dernière photo de Valérie sur la ligne et nous voilà parti pour 240 km !!! Les 2 premiers km se font sur goudron en direction de Vignec. Nous partons la fleur au fusil en trottinant gaiement et Denis nous place en tête. Le bougre a des fourmis dans les jambes et semble décider à se les dégourdir. Passé Vignec, nous attaquons le premier col en direction du cap de Pède. Bien vite, 2 équipes nous doublent, il s’agit d’une équipe de baroudeur pyrénéen et de l’équipe Endurance Shop de Grenoble. Nous trouvons qu’ils attaquent fort dans le pentu et décidons de ne pas les suivre. L’épreuve promet d’être longue puisque nous avons programmé notre arrivée pour le samedi après midi, il ne s’agirait pas de se carboniser dès la première bosse. Passé Soulan, charmant et typique village de bergers accroché à flanc de montagne, nous perdons de vue ces 2 équipes, jamais nous ne les reverrons. A Soulan, une fontaine borde notre chemin, Denis et moi nous y rafraîchissons. Moins d’une heure de course et déjà, nous avons chaud ! L’ascension se déroule gentiment, nous franchissons en 3° position le cap de Pede, croupe herbeuse servant de pâture à de rares chevaux et nous basculons sans remord vers la vallée d’Aulon. Nous voilà lancé.

Denis, en vacances dans la région depuis 15 jours a reconnu cette portion, il connait par cœur ! Nous le suivons donc dans la descente sans regarder ni road book, ni le GPS que nous n’avons d’ailleurs pas branché afin d’économiser les batteries. Nous rejoignons bientôt un chemin forestier que nous suivons. Plus loin, un sentier part sur la gauche en direction d’Aulon, je m’inquiète qu’on ne le suive pas car il part dans la bonne direction. Je fais part de mes doutes à mes camarades mais Denis nous assure qu’il faut suivre le chemin. Suivons moussaillon ! Pourtant, un lacet plus loin, nous retombons sur le sentier et sur l’ensemble du peloton que nous avions pourtant légèrement distancé. Il fallait bien prendre le sentier qui descendait droit dans les bois. C’est notre première erreur de navigation, nous en referons d’autres mais j’attribue celle là à Denis.

En avance d’un quart d’heure environ sur le tableau de marche, il est 11 heures lorsque nous traversons Aulon, petit village blotti au fond d’une vallée exiguë. Nous bifurquons alors à gauche pour remonter la vallée en direction de notre second col de la journée, le pas des Cars. C’est en sous bois que nous nous dirigeons ensuite vers les granges de Lurgues, hameau composé de vieilles granges à foin pittoresques de la région de Bigorre. Pour la plupart, celles ci ont été rénovées en résidence secondaire. Tout va bien, nous marchons d’un bon pas et ne tardons pas à nous placer en tête du peloton des poursuivants. Arrivés aux granges vers 11h30, nous faisons une courte halte afin de faire le plein d’eau. Faire le plein ici est nécessaire car la prochaine occasion d’en trouver est annoncée à 20 km. Il fait déjà bien chaud et cette eau là ne sera pas superflue. D’ailleurs, dès les premières pentes sévères qui nous mènent vers le pas des Cars, la chaleur va faire ses premiers dégâts. En effet, à l’arrière du groupe, Laurent peine à nous suivre. Je ne comprend pas ! En tête du quatuor, j’ai l’impression de marcher avec le frein à main et pourtant Laurent n’arrive pas à suivre. Que se passe t’il ? Déjà, 2 jours auparavant, avec Jean Luc et Laurent, nous étions venu repérer ce passage et déjà Laurent n’avait pas été bien sur ce col. Nous avions mis ce coup de pas bien passager sur le compte d’une mauvaise digestion puisque finalement Laurent avait fini fringant notre repérage qui s’était terminé en bucolique balade de 8 heures !

Pas d’écart au pas des Cars

Arrivé à proximité de la cabane d’Auloueilh, nous marquons une nouvelle pause afin de permettre à Laurent de récupérer. Il ne comprend pas ce qu’il lui arrive, personne ne comprend. Tant pis, nous reprenons la route, plusieurs équipes nous ont dépassés dans l’affaire, il faut avancer, l’heure tourne. Nous profitons de notre repérage de l’avant veille pour tracer notre route au plus court. Pas d’écart pour le pas des Cars ! Il faut dire que le chemin qui mène au pas est inexistant, alors tracer au plus court hors trace ne rajoute pas de difficulté. Après avoir traversé un chaos situé au pied du pas dans lequel plusieurs équipes ayant compris leur intérêt nous suivent, nous attaquons le dernier raidard droit dans le pentu. Plus à gauche, 2 équipes jardinent dans les blocs là où l’avant veille nous avions également jardiné. Nous jardinions, ils jardinent, gnarf, gnarf. J’ai des jambes de feu, j’avale le raidard sans m’en rendre compte. Au trot, je ne tarde pas à atteindre le pas. Arrivé au galop au pas, je me rend compte en me retournant que notre ami Laurent est au plus mal. Il n’est pas encore à mi pente et à l’air de vraiment peiner. A son pas, haut sont les marches pour lui. Il les gravit pas à pas. Je redescend quelques mètres pour l’encourager, le motiver. Peine perdue, ces forces sont au plus bas.

Néanmoins, nous passons ce mauvais pas à peu près dans les temps prévues. Nous prenons quelques minutes pour se sustenter et nous le croyons pour permettre à Laurent de se requinquer. Nous sommes bien accompagnés, pas moins de 4 équipes nous emboitent le pas dans le pas. Ne voulant pas marcher dans leur pas, j’encourage mes équipiers à reprendre la trace rapidement, la route est encore longue. Seulement 16 km de parcourus et déjà plus de 4 heures que nous sommes parti.

Une petite descente, une courte montée et hop nous voilà au col de Couradette. Je me suis placé devant Laurent et essaie de tracer au plus court pour ménager ses forces. Peu m’importe la trace GPS, je me fie à mon instinct et à mes souvenirs de notre passage 48 heures auparavant et serpente entre les obstacles. Passé le col, nous descendons vers le lac dit de l’I, pauvre lac, coincé entre les blocs, étriqué, droit comme un I, même pas un point pour le rehausser. Après une dizaine de minutes de descente, il est déjà temps de remonter en direction de la hourquette de Caderolles. A gauche toute, mais toujours à saute cailloux entre les blocs. Là encore, nous profitons de notre repérage pour couper au court et surtout ne pas renouveler nos erreurs passés en matière d’orientation.

Dès que la pente s’incline, Laurent peine à nous suivre. Longeant le bienveillant lac d’Arredoun, je lui conseille de se baigner afin de se rafraîchir car il est déjà à sec au niveau eau et je commence à le soupçonner de faire un coup de chaud. Ayant déjà des frissons, Laurent décline mon incitation et se contente de rafraîchir tête et casquette. Avec recul, je suis convaincu que la baignade était pour lui la solution la plus appropriée mais ne sachant pas bien à ce moment là de quoi il souffrait … A 15 heures, nous franchissons notre 4° col, la hourquette de Caderolles située au 20° km à 2 500 mètres d’altitude. Nous avons pris un léger retard par rapport à notre tableau de marche mais sommes encore en avance sur l’horaire moyen prévu par l’organisation, donc rien d’inquiétant. Je profite de notre halte au col pour envoyer quelques SMS, cela va devenir une occupation majeure au fil de la course, n’est ce pas Serge ? La descente jusqu’au lac de l’Oule, où l’on croise une partie du parcours du GRP160 et qui est donc connu, se fait à un bon rythme Je pense alors que Laurent est en train de se refaire la cerise. Arrivé au lac, nous cherchons désespérément de l’eau, un comble. Nous en venons même à quémander quelques gouttes à des randonneurs avant d’affronter la difficulté suivante, le col d’Estoudou. Nous sommes tous à sec. Denis commence lui aussi à se plaindre du manque d’eau. Contrairement à ce que son nom pourrait laisser entendre, l’ascension des 439 mètres de dénivelé de ce col n’est pas si douce et de nouveau Laurent peine à se hisser au sommet. Allez, pas grave, il ne nous reste plus qu’à plonger vers le lac d’Oredon pour atteindre le premier ravitaillement où nous pourrons boire, manger, reprendre des forces.

Drame à l’Oredon

Allons y gaiement. Je mène le train d’un bon pas sur un sentier en sous pin où se mêlent plus ou moins harmonieusement blocs de granit et racines, le genre de sentier qui me rend guilleret et insouciant. Je pense encore que Laurent va se refaire mais encore une fois, ma joie est de courte durée. Jean Luc, un peu en retrait avec Laurent, nous hèle. Laurent est à l’agonie, il est perclus de crampes qui le font hurler de douleur. De nouveau, je dépouille une famille de randonneurs de leur précieux liquide auquel j’ajoute des sachets de ré hydratation pour bébé afin de permettre à Laurent d’atteindre la base de « survie ». Vers 17h30, nous parvenons au refuge d’Oredon, implanté au bord du lac du même nom, site d’accueil de la première base vie. Nous n’avons qu’1/2 heure de retard sur notre feuille de route. Ça va le faire, Laurent va pouvoir boire, manger. Il va se refaire, c’est sur.

Dès notre arrivée, j’expose la situation à Sylvie (par la suite, je l’appellerai Sylvie sans être sûre de son prénom, qu’elle me pardonne), infirmière bénévole qui m’explique après être aller voir Laurent, qu’il a pris un sérieux coup de chaud et que vu son état, repartir ne sera pas simple pour lui. Elle m’explique qu’elle ne le laissera pas repartir avant qu’il ne soit aller pisser. D’ailleurs, il n’est pas le seul dans cet état, plusieurs raideurs d’autres équipes ne semblent pas au mieux. Nous décidons d’attendre et profitons de cette pause prolongées pour sérieusement se restaurer. Pour moi, ce sera hachis parmentier, saucisson, fromage, compote. J’impose le même régime à Laurent. Il sera agrémenté pour lui d’une mousse que Jean Luc, en bon capitaine, est allé lui acheter au refuge. Il y a 2 jours, l’ingestion de cette potion fermentée dans un autre refuge lui avait permis de retrouver des forces. Nous espérons donc que l’effet de la potion magique agisse. Hélas, triple hélas, après une heure de pause, Laurent n’est toujours pas bien. La barrière horaire approchant, il nous faut prendre une décision, nous ne pouvons plus attendre. C’est donc la mort dans l’âme que Laurent prend la décision d’arrêter là. Il ne se sent toujours pas bien et pense qu’il va trop nous retarder. Il ne veut pas mettre en péril la réussite de l’équipe !

Il est passé 18h30 lorsque nous abandonnons Laurent à son triste sort et repartons en direction du col de Madamète. Les premières minutes sont silencieuses. Nous accusons le coup. Heureusement, la montée au col se fait au cœur de la réserve du Néouvielle, un lieu magnifique fait de granit, de lac, de pins maritimes, de rhododendrons. Nous longeons un lac sans nom puis le lac d’Aubert et enfin le plus beau, le lac d’Aumar au bord duquel de jeunes insouciantes se baignent. Les sirènes nous tentent. L’appel de la montagne est pourtant le plus fort et nous nous contenterons de quelques clichés au bord du lac. Ces paysages nous remettent un peu la tête à l’endroit et nous accélérons légèrement le rythme dans la montée vers Madamète car nous avons pour objectif de passer la prochaine difficulté, le pas de la Crabe de jour. Nous doublons ainsi 2 ou 3 équipes qui nous avaient dépassé lors de notre longue pause à Oredon dont l’équipe italo-franco-suisse de Verbier St-Bernard que nous croiserons plusieurs fois par la suite. La montée au col de Madamète est une formalité. Passé ce col, nous basculons vers le vallon d’Aygues-Cluses. La descente se fait sur un sentier bien marqué, parsemé de blocs de granit, un terrain idéal pour se dégourdir les jambes. Nous en profitons pour trottiner un peu. Je le note car les occasions de le faire seront bien rares tout au long du parcours. Nous arrivons bientôt à la cabane d’Aygues-Cluses à la croisée de bien des chemins. Nous croisons d’ailleurs des randonneurs qui ont décidés de passer la nuit en ce lieu. Je suis en forme et je profite de ces quelques instants pour plaisanter avec eux. La lumière commençant à faiblir, nous écourtons la pause pour partir à l’assaut de la prochaine difficulté, le pas de la Crabe. Nous avons en point de mire un trio espagnol qui est reparti 5 minutes avant nous de la cabane. 2 stratégies s’affrontent : celle des espinguoins qui suivent au mètre près la trace GPS et celle que j’impose à Jean Luc de tracer notre chemin au gré de la topographie du terrain. Nous ne tardons pas à tomber sur le râble des espagnols et nous finirons par suivre un chemin commun jusqu’au pas.

Pas de pas sans chaos

Au pied de la dernière portion, il nous faut là encore traverser un chaos de granit. Décidément, cela doit être une caractéristique des Pas. Pas d’accès au Pas sans chaos ! Au milieu des blocs, nous tombons sur une équipe de réunionnais, fort désemparé. Ils se croient égarés car n’en reviennent pas de devoir cheminer dans ce désordre minéral. Nous les mettons sur le porte bagage et nous montons désormais droit dans la pente herbeuse en direction du pas. Cette dernière montée est raide mais heureusement courte. Nous ne tardons pas à atteindre le Pas de la Crabe sans nous être emmêler les pinces. Heureusement, car nous sommes au crépuscule de cette journée. Nous profitons d’une courte pause pour nous équiper des frontales et repartons flanqués de 3 espingoins et 3 réunionnais dans la descente. Je me place en tête du groupe et essaie de suivre les quelques cairns qui jalonnent notre descente. Ce n’est pas simple, la nuit est désormais noire et le chemin, que dis je, le cheminement, le tracé déambule dans un nouveau délire de blocs et de pierres. Les espagnols, fidèles à leur stratégie divergent de mon sillage dès lors que je m’écarte de quelques décimètres de la trace GPS ! A ma grande satisfaction, nous rejoindrons sans encombre les pistes de ski de la station de la Mongie, installée sur les flancs du Tourmalet. La progression est désormais plus simple car nous sommes sur des cailloux et non plus sur des blocs. Les espagnols en profitent pour accélérer. Nous leur emboitons le pas et abandonnons là l’équipe de réunionnais apparemment peu à leur aise sur ce terrain pierreux et pieugeux. Après cette descente tout shuss, nous bifurquons bientôt sur notre gauche en direction du col du Tourmalet. Toujours pas de chemin, cette fois le tracé monte en direction du col sur des pistes de ski enherbées. Les espagnols sont toujours avec nous, enfin s’en rendent ils compte, tellement ils sont obnubilés par leur tracé GPS !

Le géant des Pyrénées est atteint à 22h24. Nous avons 1h30 de retard sur notre tableau de marche mais n’en sommes pas conscient. La suite nous paraît aisée, nous suivons un chemin carrossable légèrement montant qui mène au col du Sencours. Il est déjà tard dans la soirée, cela fait maintenant 14 heures que nous sommes parti et la fatigue se fait sentir. Je profite de ce chemin sans difficulté pour parfois fermer les yeux. J’abandonne mon esprit à cette drôle de lune qui joue à cache cache avec les nuages pour former un halo mystérieux et laisse mes jambes me transporter.

En moins d’une heure, nous avons rejoins le col du Sencours et tombons sur le troupeau de lama du pic du midi de Bigorre. A quoi ressemble un lama la nuit au col du Sencours ? Pendez deux billes de verres jaunes fluorescents au bout d’un fil, éteignez la lumière et vous aurez alors un aperçu tout à fait fidèle de cette vision surréaliste. Au col, nous cherchons l’eau promise par l’organisation en ce lieu. Peine perdue, elle a été enfermée par erreur !

Courte pause et déjà, nous reprenons notre route non pas en direction du pic, mais direct vers la seconde base de vie, Artigues. En effet, la montée au col a été annulée car paraît il, un vent tempétueux soufflerait en son sommet. Seules les 2 premières équipes y monteront et n’y trouveront pas le vent promis ? Tant pis, il fait nuit et faire un aller retour au pic sur un chemin guère agréable ne nous prive pas. Nous prendrons, comme les autres équipes ne l’ayant pas gravi 5 heures de pénalités. L ‘équipe des espinguoins nous accompagne toujours. Jean Luc et moi ne tardons pas à les distancer. Denis, le vendéen malgré mes encouragements à nous rejoindre, préfère descendre au rythme des transpyrénéens. Nous l’attendrons plus loin, près du pont des Vaques où j’en profite pour une première fois m’allonger dans l’herbe. Je voudrais dormir mais déjà Denis, flanqué de 2 espagnols arrive, il faut repartir.

Grosse fatigue à Artigues

Encore 3 kilomètres de descente durant lesquels nous croisons l’équipe grenobloise qui finira seconde et nous voilà à Artigues. Il est 1h05 et avons encore 45 minutes de retard sur notre tableau de marche malgré avoir esquivé le pic du midi de Bigorre. Nous sommes la cinquième équipe à arriver ici. Déjà, 3 sont repartis. Nous sommes parti depuis plus de 16 heures et avons parcouru 54 kilomètres (3,5 km/heure), escaladé 9 cols pour 4240 mètres ascensionnés. Nous sommes heureux d’arriver ici, de retrouver l’équipe de bénévoles qui nous le comprenons va nous suivre tout au long de notre périple, Sylvie, Mister Magoo et les autres. Nous sommes heureux. Nous allons pouvoir prendre un peu de repos, nous restaurer, nous refaire une beauté car nous retrouvons ici notre sac avec nos effets personnels, nos affaires de rechange. Nous fixons à 2h30, notre heure de départ et comptons sur ce répit pour nous refaire la cerise. Pour ma part, je mange, des pâtes bolognaises, du fromage, du saucisson, du chocolat, des Tuc, de la compote, tout cela dans un ordre pas toujours bien ordonné. Pendant que Denis est parti s’isoler pour faire un petit somme, Jean Luc et moi nous massons. Chacun dans son coin, en tout bien tout honneur, qu’alliez vous imaginer ? Pour ma part, j’essaie de me détendre les mollets qui se sont bizarrement crispés dans la descente du Sencours. Cela m’inquiète quelque peu. Les espagnols sont arrivés, ils ne repartiront pas. Les réunionnais arrivent à leur tour bientôt suivi de l’équipe de Verbier St Bernard. Il nous reste un peu de temps alors on tente de dormir, allongé sur des lits de camp. Peine perdue, l’agitation feutrée du lieu nous en empêche. Et l’heure qui n’arrête pas de tourner. Allez debout ! Je vais réveiller Denis, je bois un dernier café, nous remercions encore une fois nos accompagnateurs et repartons en direction du prochain col, le col d’Aouet. Il est près de 3 heures lorsque nous repartons. Après un premier raidard le long d’une cascade, la montée se fait plus facile jusqu’à la cabane d’Arizes. La nuit est noir, l’atmosphère est feutrée, l’air est moite, la montée se fait silencieuse. Enveloppé dans cette étrange touffeur, je suis inquiet. La pause à Artigues n’a pas eu l’effet escompté. Au contraire, je suis raide, fourbu. Mes mollets sont tendus comme des arcs et me font souffrir, une forte tension m’assaille le bas de la fesse droite et une arthrose récurrente aux gros orteils s’est inopportunément réveillée. Nous n’avons fait que le quart du parcours et déjà, mon corps est en souffrance. Comment vais je pouvoir continuer, comment vais je pouvoir terminer ? Je ne pipe mots, ne fait pas part de mes doutes, je fais profil bas. Allez, on verra bien comment tout cela évolue.

Après avoir longé le lac d’Arizes, nous attaquons de nouveau droit dans une pente herbeuse. Pas de chemin si ce n’est de multiples sentes à moutons. Nous traçons au mieux en suivant la trace GPS, seule repère valable dans ce décor où ciel et terre se mêle. Le souffle coupé par cette rude montée, nous nous asseyons dans l’herbe pour récupérer. Frontale éteinte, nous en profitons pour admirer la voute étoilée. Loin de toute source de lumière artificielle, le spectacle est magnifique ! J’en profite pour poser une colle à mes camarades, la voici : Y a t’il plus ou moins d’étoiles que de grains de sable nécessaires à recouvrir la superficie de la terre ?

Il est 5 heures, nous nous éveillons au col d’Aouet, le dixième que nous franchissons. Mille mètres de plus de gravi, nous en sommes ravi. Au dessus de nous, nous devinons le majestueux pic du midi de Bigorre qui nous domine. Nous avons beau scruter devant, derrière, pas d’autre équipe en vue. On plonge vers Chiroulet. La descente est pénible, toujours pas de vrai sentier, des sentes à moutons. De tant à autres, il faut changer de sente pour suivre au mieux la trace. On joue à sente-moutons ! Voici une cabane, sans nom, comme indiqué sur le road book. Comme indiqué, derrière la barrière, nous bifurquons à gauche et toujours pas de vrai chemin. Il nous faudra rejoindre les cabanes d’Aya pour enfin retrouver un terrain plat. Nous suivons à présent un vieux chemin forestier recouvert d’herbe et de brume. Étrange rencontre matinale avec 2 représentantes de l’espèce bovine, une mère et sa fille. On se croirait dans un comte mythologique. Est ce Hathor, la vache de l’amour et de la joie ou Io, la prêtresse transformée en génisse. En tout cas, Io, la jeune femelle nous prend pour des dieux et tente de nous suivre sous le regard inquiet de sa mère, étrange nom de Zeus!

Du Kir ou du lait

7 heures tapantes, nous arrivons à Chiroulet. Kir ou lait, ce sera de l’eau laissé là par l’organisateur. Seules quelques bouteilles sont vides ou entamées, cela nous laisse à penser que peu d’équipes sont déjà passés. En réalité nous sommes la cinquième. L’atmosphère du petit matin est gris, légèrement endormi, nous ne sommes guère plus gais. Nous avalons rapidement un petit en cas et nous repartons vers le col suivant, le col de Barran. Mon état ne s’est guère amélioré et la descente a encore accentué mes tensions dans les mollets, rien de bon. La douleur est vive mais coté positif de ces maux aigus, ils masquent les autres douleurs ! C’est le remède du marteau. Si tu as mal aux pieds, tapes toi sur les doigts avec un marteau et tu n’auras plus mal aux pieds.

Nous sillonnons un moment en forêt sur une route forestière puis poursuivons par un sentier qui débouche sur un alpage. Devant nous, se dressent les magnifiques cabanes de Courtaou de la lit, cabanes de bergers en pierre récemment rénovées par un instituteur. Jean Luc les inspecte et regrette de ne pouvoir s’y allonger et se reposer. Il faut dire que Jean Luc n’est guère en forme lui non plus, il est fatigué, des fourmis l’assaillent dans un bras. Il nous fait part pour la première fois de ses doutes sur notre capacité à aller au bout de cette aventure. Il a raison de douter car nous avons parcouru guère plus de 70 km et cela fait déjà 24 heures que nous sommes parti….

Il nous faut reprendre vie, nous secouer, réagir. Le lever de soleil qui nous cueille ici nous redonne un peu d’énergie et nous voilà reparti. Nous traçons encore une fois dans les pentes herbeuses au plus près de la trace, en suivant de temps à autres de vagues sentes à moutons mais sans fil laineux conducteur. Nous croisons la cabane de Benaques. Nous escaladons, longeons, franchissons, contournons des mamelons. Surtout, nous admirons le magnifique paysage qui s’offre à nous depuis ce balcon sur l’arrière du massif du pic du midi. Enfin, après avoir cru l’atteindre 5 fois, nous franchissons le col de Barran. Nous dominons la station d’Hautacam et pouvons visionner la suite du parcours. Ayant mémorisé le tracé, je prend la tête dans la descente qui s’ensuit et trace à vue. Nous ne tardons pas à atteindre les contreforts du pic de Naouit et trouvons même la source indiquée dans notre guide. Nous en sommes ravi car l’eau commençait à manquer sous ce soleil qui commence vraiment à piquer. Après avoir salué la vierge Moulata, nous escaladons le pic de Nerbiou que nous atteignons à 11h25. Nous sommes de nouveau conforme à notre tableau de marche. Au loin, un trio s’avance vers nous, c’est le team VSB. Vite, nous repartons sans profiter plus longtemps du spectacle offert par le vol des vautours. La suite, c’est 1250 mètres de descente vers Villelongue. Longue est la route qui mène à la ville ! La première partie est là encore pénible. La descente, raide, se fait dans des pentes herbeuses sans chemin. Il faut retenir, freiner, tirer sur nos quadriceps déjà bien endoloris. La fin de la descente est heureusement plus agréable. Nous suivons quelques chemins, puis un sentier en sous bois qui nous mène finalement au village de Villelongue. Ce sentier me donne des ailes et j’en profite pour courir, trottiner, dégourdir les jambes. Tiens cela va mieux. Sans m’en rendre compte, mes jambes se sont détendues. Je n’ai aucune explication à fournir, c’est ainsi. Je profite simplement de ce moment de répit.

Villelongue : Base de vie

Jeudi 23 août 2012, 13 heures. 28 heures que nous sommes partis et seulement 90 km de parcourus ! 12 difficultés franchies toutefois pour 6300 mètres escaladés. Cela commence à causer. Il n’en reste plus que 145 ! Nous arrivons en toute confidentialité dans les rues désertes de Villelongue. Notre arrivée dans la salle des fêtes du village est tout aussi feutrée. Personne si ce n’est les quelques bénévoles qui nous attendent. Nous attendent est bien le terme à utiliser car les bénévoles peuvent nous suivre grâce à nos balises. Ainsi, Mister Magoo est sur le pas de la porte pour nous accueillir à notre arrivée. Quel contraste avec l’agitation qui régnait lorsque nous étions passé ici l’an dernier lors du GRP160 ! La salle est à nous, les bénévoles sont au petit soin. Notre halte sera courte car l’étape du jour est encore fort longue. Mais, il est 13 heures et c’est l’heure de se restaurer. Au menu, des pâtes, du jambon, du fromage et de la compote le tout agrémenté de coca, d’eau et pour finir un petit café pour tenir le coup. A notre arrivée, nous apprenons que l’équipe classé 4° vient d’abandonner faute de combattants (2 abandons sur 4) Nous récupérons donc leur place. Pendant notre halte, nos poursuivants aperçus plus haut arrivent à leur tour. Les traileurs de Verbier Saint Bernard ont l’air en forme, les bougres. Il faudra s’en méfier. Ils sont suivis de près par l’équipe de la Réunion que nous avions récupéré au pas de la Crabe. Dés leur arrivée, ils annoncent leur abandon. C’est l ‘hécatombe ! Ils sont descendu depuis Hautacam en stop! En fait, ils en ont marre de jardiner. Je leur rétorque qu’au lieu de garder les yeux rivés sur le GPS, ils feraient bien de lever le nez et d’essayer de sentir un peu le terrain. Nous sommes perplexes et ne comprenons pas qu’on puisse faire un tel voyage pour participer à cette épreuve et qu’on puisse abandonner à la première difficulté ? Drôle de mentalité.

Alerte rouge au Lisey

Mais ne nous attendrissons pas, il faut repartir, nous avons encore un peu de chemin à faire. Le soleil est haut en ce début d’après midi et la chaleur est accablante. Heureusement pour nous, la suite du chemin est assez ombragée. Nous commençons par un petit sentier qui longe des conduites forcées puis longeons à flanc de montagne d’abord par une piste puis par un sentier en sous bois. Nous avançons d’un bon pas et surtout à un rythme que chacun semble pouvoir tenir. Nous ne tardons pas à déboucher sur un nouvel alpage et tombons sur la cabane du Boussu. Il est environ 16 heures et marquons une pause pour un petit en cas et en profitons pour admirer le paysage. Nous longeons ensuite à flanc de montagne sous le pic de Viscos pour atteindre la cabane de Conques où accueilli par 3 chiens de bergers, nous faisons le plein d’eau. Un des 3 chiens tente de me piquer une compote ! Plus en altitude, la chaleur est heureusement moins pesante d’autant que nous approchons des crêtes et que le vent commence à se faire sentir. Nous atteignons ensuite sans peine le col de Riou puis par une courte mais raide montée sur des pistes de ski, le Soum des Aulheres. L’air de rien, depuis Villelongue, nous venons de nous avaler quelques 1650 mètres de dénivelé. Le vent souffle sur la crête, c’est le vent du Soum ! Atchoum ! Nous ne nous attardons pas et redescendons sur le col du Lisey, d’autant que l’équipe VSB est sur nos talons. Le vent souffle tellement fort qu’il emporte mon road book ainsi que notre tableau de marche. J’en retrouverai une partie mais notre tableau de marche est définitivement envolé. Autre mauvaise nouvelle, Denis a pissé rouge, il a du sang dans les urines. Il est inquiet.

La descente sur Cauterets commence par une sente dans la pente herbeuse comme on les aime ! Fort heureusement, nous ne tardons pas à atteindre le plateau d’alpage du Lisey où nous retrouvons une piste forestière. Nous accélérons le train et trottinons quelque peu sur cette piste. Je tente de rassurer Denis sur son tracas urinaire en lui disant que cela arrive fréquemment sur les efforts de longue distance. Nous lui conseillons de boire abondamment. Par un heureux hasard, c’est alors que nous tombons sur le restaurant d’altitude de la reine Hortense. Un belle terrasse avec vue sur Cauterets s’offre à nous. Je hèle mes camarades pour effectuer un ravitaillement éclair. Jean Luc et moi, assoiffés, vidons notre Leffe d’un trait. Denis, moins rompus que nous à cet exercice, se sent du coup obligé de vider prestement son verre. Mal lui en prend, car dès son verre vide, je me lève pour repartir. Denis tente de m’emboiter le pas mais ne réussi pas à se lever. Il est livide, sa tête tourne. Il lui faudra quelques minutes pour reprendre ses esprits mais plus de peur que de mal, il réussira à repartir sans encombre en direction de notre prochaine étape : Cauterets.

Mi parcours à Cauterets

Il est environ 19 heures 30, lorsque nous traversons les rues de Cauterets et atteignons le 4° gros ravitaillement. Ce passage à Cauterets marque la moitié du parcours. En effet, nous avons parcouru environ 115 km et déjà escaladé 8000 mètres de dénivelé. A notre arrivée, nous avons la surprise de trouver l’équipe classée 3 qui est là en train de reprendre des forces. Des tables de massage sont disponibles pour prendre un peu de repos, des kinées sont également là pour nous soulager de nos maux. Pourtant, nous ne ferons que manger en ce lieu. Ce soir au menu, couscous !. En effet, la journée n’est pas fini, nous avons pour objectif de rejoindre Estaing distant encore de 22 km en franchissant le col d’Ilheou. A la tombée de la nuit, nous laissons l’équipe VSB arrivée sur ces entremets et repartons sur les talons de la troisième équipe. La montée commence par un bout de route et nous mettons pleins feux sur nos adversaires afin de tenter de les impressionner. Peine perdue, nous ne gagnons rien et j’ai même l’impression qu’ils reprennent du terrain. Qu’à cela ne tienne, nous sommes raisonnables et montons à notre rythme. Est ce la fatigue qui fait son effet mais la montée au refuge d’Ilheou me semble courte. Il faut dire que nous sommes désormais silencieux, plus de son, plus de lumière. Tout est uniforme sur ce chemin pierreux qui nous mène au refuge. Il est minuit pile poil lorsque nous y arrivons. Tout est calme, feutré, la montagne dort. Je suis moi même à moitié endormi. Nous ne nous arrêtons pas au refuge, nous filons droit ver le col d’Ilheou.

Il est ou l’Ilhéou ?

Jean Luc mène le train sur le sentier qui mène au col. C’est le GR10, marquée rouge et blanc, bien tracée par le passage fréquent des randonneurs. Pourtant, à une bifurcation, nous nous embarquons sur une mauvaise trace. Le temps de s’en apercevoir et déjà, nous sommes égarés. A droite, à gauche, en haut, en bas, nous errons à la recherche du bon chemin. Pourtant, nous sommes sur la trace GPS, le chemin devrait être là. Mais ou est donc la direction de l’Ilheou ? Nous en venons même à nous demander dans quel sens il faut partir lorsqu’enfin, nous retrouvons le sentier. Après ce moment de jardinage, nous reprenons nos esprits et notre marche vers le col. Nouvelle erreur de trajectoire, celle là sera attribuée au collectif. Le col franchi, nous attaquons la descente vers le lac d’Estaing. Là encore, les chemins sont multiples, les sentes nous embrouillent. Là encore, nous nous fourvoyons, zigzaguons et nous embarquons sur de mauvaises sentes. Décidément, l’Ilheou porte bien son nom. Pas grave, nous encaissons et traçons droit désormais. La pente s’est adoucie, le sentier élargie et nous avons en point de mire les lumières de l’équipe qui nous précède. Nous accélérons, nous trottinons à au moins 6 km/heure et ne tardons pas à rejoindre nos concurrents. Ils ont l’air en mauvais état, au moins 2 d’entre eux boitent bas. Pas de pitié, nous ne nous attardons pas et les dépassons sans faiblir. Dans notre excitation, nous nous tromperons encore de route dans cette descente. Menant la danse sur cette portion, j’endosse sans honte cette erreur. Peu importe, nous sommes désormais troisième et avons le cœur léger à défaut d’avoir des jambes de feu. C’est ainsi, qu’au beau milieu de cette nouvelle nuit étoilée, nous arrivons au lac d’Estaing. Encore 5 km et nous arriverons à Estaing et sa base de vie. Nous décidons de suivre la route goudronnée en faisant fi des indications du road book qui voudraient que l’on chemine de ci delà sur des sentiers parallèles. Il est plus de 2 heures du matin et cela fait maintenant plus de quarante heures que nous sommes parti. Plus de 40 heures sans sommeil, à marcher, trotter, escalader, sans oublier de jardiner, nous n’aspirons qu’à une seule chose, de trouver au plus tôt un lieu de confort, de réconfort afin de nous allonger, nous restaurer, nous reposer. Un bain chaud, un sauna, un massage, une thalasso complète quoi ?

Courte nuit à Estaing

Nous arrivons à la base d’Estaing à 3h45. Un valeureux bénévole est là à nous attendre. Dans la salle, c’est le calme plat, tout le monde dort, les bénévoles et les 3 coureurs de l’équipe qui nous précède. Apparemment, nous avons rejoint l’équipe Endurance Shop de Grenoble. Nous sommes gazés mais décidons néanmoins de ne pas trop allonger notre halte ici. En tant que chef routeur et gardien des barrières horaires, j’annonce à mes 2 coéquipiers que nous repartirons à 6 heures ce qui nous laisse un peu plus de 2 heures pour manger, se soigner, se changer et tenter de se reposer.

Pour ma part, je commence par me changer puis Sylvie a la gentillesse de bien vouloir s’occuper de mes pieds qui commencent à s’empouler ! Après m’être restauré en m’envoyant mon deuxième couscous de la nuit, je tente de me reposer. Mes 2 camarades sont déjà allongés et semblent dormir. Cela s’avèrera impossible pour moi, mes jambes continuent d’avancer, mon esprit est déjà tourné vers le prochain obstacle, le Cabaliros masqué. Je n’ai qu’une hâte, retourner au combat, en découdre avec les difficultés, continuer d’avancer. Après une demi heure en position allongée à me débattre avec mes démons, je me décide de me lever et commence à me préparer. A 5h45, Jean Luc et Denis, qui ont réussi à se reposer me rejoignent. Dernier préparatif et à 6 heures, nous voilà prêts à repartir à l’assaut du légendaire Cabaliros. L’équipe d’endurance shop de Grenoble, classée seconde est déjà reparti depuis au moins 2 heures, tant pis. Derrière, seule l’équipe que nous avions doublé dans la descente de l’Ilheou est arrivée. Ils dorment à poings fermés lorsque nous sortons de la base de vie d’Estaing. En piste pour une nouvelle journée à la montagne !

En route pour le Cabaliros

Elle débute par une portion de route longue de 2 km. Le soleil n’est pas encore levé et nous commençons la journée dans la nuit. Une brume matinale nous enveloppe et apparemment enveloppe également l’esprit de mes 2 camarades qui ont du mal à remettre en route. Comme quoi, le sommeil n’est pas si réparateur. Par contre, moi qui n’ai pas réussi à dormir, je me sens étonnement en forme. Mes mollets sont toujours aussi raides mais j’arrive à gérer ce problème. Denis est également en partie rassuré par son problème urinaire. Ce matin, il a pissé clair ! Par contre, les fourmis n’ont pas quitté le bras de Jean Luc. Il n’a plus de force dans son membre qui ne lui sert plus qu’à porter son bâton devenu inutile. Il a l’air tout penaud tel un manchot sur la banquise. Fidèle à son habitude, il n’en parle pas, ne se plaint pas. Après cette portion roulante, nous tournons à droite, traversons le gave de Labat et commençons notre ascension qui sera longue de plus de 6 km pour 1400 mètres de dénivelé. Elle commence en forêt sur un sentier peu évident à suivre. Jean Luc, comme souvent mène le train en essayant de suivre tant bien que mal la trace GPS. Nous ne tardons pas à déboucher sur une zone mi herbeuse, mi marécageuse sur laquelle plus aucune sente n’est visible. On trace alors à vue en essayant d’éviter les zones les plus humides. Le rythme est bon et malgré quelques atermoiements, nous tombons sur la cabane de Banciole. Nous sommes à mi distance du sommet mais il nous reste encore 850 mètres à gravir. La suite est à l’image du parcours, difficile, chaotique mais magnifique. En effet, depuis la cabane jusqu’au sommet, le tracé proposé est hors sentier. Nous devons zigzaguer entre les ligneux, jouer avec la topographie du terrain pour gagner en altitude. A ce jeu, nous gagnons la crête sommitale que nous suivons pour atteindre le sommet à 9 heures tapantes, pile poil l’heure prévue par notre tableau de marche initial. Nous nous congratulons, nous félicitons. Nous sommes les rois du monde, on en verserait presque une larme. Nous vivons un moment rare, nous sommes tout simplement heureux d’avoir atteint ce sommet pour de multiples raisons. D’une part, le tableau est splendide. Nous profitons du lever du soleil depuis un sommet (2334 m d’altitude) qui offre un magnifique point de vue sur les principaux 3000 des Pyrénées. De plus, une mer de nuage s’étale sous nos pieds. Enfin, une colonie de vautours qui nichent sur des falaises en contrebas nous offrent leur spectacle de funambule des airs. Par ailleurs, nous avons désormais la certitude de rejoindre Cauterets avant la porte horaire fixée à 13 heures, ce qui nous permettra de continuer sur le parcours prévu. Les 3 autres équipes encore en course et qui nous suivent ne la franchirons pas et seront détournés sur un parcours de repli. Ainsi, au sommet du Cabaliros, nous avons la certitude de finir au pire 3° à la condition bien sur de terminer, car le chemin est encore long.

Tout d’abord, il nous faut rejoindre Cauterets soit 11 km et 1400 mètres de descente à encaisser. Pour une fois, nous n’avons pas à nous poser de question, le sentier est bien marqué. Il est même jalonné car dans quelques heures, les concurrents du GRP160 dévaleront le même chemin. Nous profitons de la facilité du terrain pour accélérer le rythme. Je tente même de faire trottiner mes camarades sur ce sentier roulant. La pause pipi que nous marquons au bord d’un ruisseau à mi pente nous arrêtera dans notre élan. En effet, les secousses de la descente ont de nouveau irrité les reins de Denis qui a recommencé à avoir du sang dans les urines. Nous décidons de calmer le jeu et finirons la descente en marchant. Jean Luc profite de cette accalmie pour appeler son infirmière préférée qui nous rassurera sur l’état de Denis. Il se gardera bien de lui parler de son bras ankylosé.

Cauterets bis répetita

Vendredi 24 aout à 11h30, en accord parfait avec notre tableau de marche, sous un soleil radieux, nous traversons de nouveau les rues de Cauterets pour rejoindre cette base de vie pour la seconde fois. Cela fait 60 heures et 30 minutes que nous sommes parti et pas beaucoup dormi. Nous avons parcouru 166 km, monté, descendu près de 11 000 mètres de dénivelé et nous sommes malgré nos bobos respectifs en relative bonne forme. Comme à chaque fois, les bénévoles nous attendent et sont heureux de nous voir arriver. Ils sont aux petits soins. De plus, cette base dimensionnée pour recevoir des centaines de coureurs du GRP160 offrent bien des commodités surtout quand seulement 3 coureurs sont là pour en profiter. Une podologue et une kinée proposent leur service. J’en profite pour de nouveau faire soigner mes ampoules et me faire masser les mollets que j’ai fort endoloris. Je joins l’utile à l’agréable en dégustant une bière que nos gentils bénévoles ont eu la bonté de nous acheter. Je mangerais également mon 3° couscous déshydraté en moins de 24 heures ! Mais, il ne faut pas s’attarder, la porte va bientôt se refermer. Il ne s’agirait pas de se la prendre sur le nez !A 12h30, nous repartons à l’assaut de la difficulté suivante, à savoir le col de Culaus, le bien nommé !

La reprise post méridienne est difficile. Tout d’abord, nous faisons un peu de tourisme thermale. En effet, nous tournons plusieurs minutes autour de l’établissement des thermes de Cauterets avant de trouver le bon chemin qui doit nous faire remonter la vallée du Lutour. Ensuite, le chaud soleil sous lequel nous repartons additionné à la torpeur digestive plombent un peu nos ardeurs. Pour ma part, j’ai les cuisses de bois, les mollets en feu et les ampoules incandescentes. Les soins prodigués par les charmantes bénévoles n’ont pas du tout eu l’effet escompté. Au contraire, j’ai l’impression que leurs soins ont été contre-productifs. Du coup, je me ferme complétement, rentre dans ma bulle pour tenter de surpasser intérieurement mes maux pour malgré tout pouvoir continuer à avancer. J’en deviendrais presque désagréable envers mes camarades. Je m’en excuse ici. Cet intériorisation me permet de poursuivre ma route mais silencieusement. Je me place en tête de groupe en essayant d’imprimer un rythme soutenu et régulier. Nous remontons ainsi tranquillement la vallée le long de la rivière sur 8 kilomètres. Le chemin est agréable. Il est large, roulant, alternant entre passage à découvert ou en sous bois de résineux. Le décor de ce fond de vallée est bucolique. D’ailleurs, nous croisons pour la première fois depuis notre départ une foultitude de personnes qui profitent du lieu pour se promener, randonner, pique-niquer, piquer un roupillon au bord de l’eau. Dans ce tableau et sans tout nos tracas physiques, ce serait le bonheur ! Mais nous n’avons pas le droit de profiter des joies que pourrait nous offrir ce lieu, nous devons continuer d’avancer malgré nos envies de farniente. Après être passé près du lieu dit la Fruitière où Denis se désaltère, emprunter le sentier Falisse, nous bifurquons sur notre gauche pour attaquer la montée vers le col.

La première partie qui nous mène au refuge Russel est évidente. Le sentier bien que raide tangente un ruisseau dans lequel nous nous rafraichissons, serpente entre les pins, contourne ensuite quelques blocs. Ainsi après une heure environ de montée, nous atteignons le refuge. Il est me semble t’il environ 16 heures. Le refuge n’est en fait qu’un abri non gardé et la source promise en ce lieu est tarie. Nous en sommes fort marri car afin de lutter contre la chaleur de ce début d’après midi, nous avons bu abondamment en pensant pouvoir refaire des réserves ici. Tant pis, de l’eau est annoncé à moins de 6 kilomètres et le pensons nous, nous ne tarderons pas à atteindre la prochaine source. Nous profitons d’une petite pause pour se sustenter et lire le road book car la suite s’annonce difficile ; la montée au col de Culaus étant annoncé comme un itinéraire de haute montagne.

Extrait du Road Book

Du refuge, on suit vers l’Est l’un des sentiers tortueux (équivalents) qui serpentent entre les pins, dans les rochers et les rhododendrons. Après 10 minutes, les arbres se font rares et l’herbe remplace les rhododendrons. On passe les ruines (peu visibles) d’une cabane et l’on approche d’un mamelon boisé émergeant d’une vaste zone d’éboulis. On découvre la bifurcation juste avant un gros rocher pyramidal surmonté d’un pin minuscule. A droite, le chemin du col de Culaous, à gauche le sentier de l’Ardiden. On prend donc à droite pour grimper vers le mamelon boisé, que le sentier aborde puis contourne par la droite avant d’entrer dans un petit ravin. On le remonte par la gauche avant de le traverser, pour déboucher sur la droite d’un vallon secondaire encombré de gros blocs. Le sentier continue sur la droite, dans les rhododendrons, légèrement en contrehaut de ce vallon, et parvient à un petit collet d’éboulis. Le col de Culaous est maintenant bien visible devant nous……

L’enculaus

Comme indiqué, nous repartons donc vers l’est par le chemin qui je le confirme est tortueux. Jean Luc, le plus en forme de nous 3 et en tant que chef GPS a pris la tête de la maigre colonne. Au détour des pins, nous apercevons bientôt le col en face de nous mais un champ d’énormes blocs nous en barre l’accès. Nous ne sommes donc pas étonné de partir sur la gauche de ce chaos sur un sentier qui nous le pensons va le contourner. Nous attaquons ainsi la fleur au fusil une montée droit dans le pentu sous un soleil qui ne se dément pas. Jean Luc, tel un coureur espagnol sur-vitaminé, le nez dans le GPS file devant. Derrière, Denis et moi avons les jambes lourdes et le nez près du rhododendron ! Nous ahanons, grognons, maudissons ces maudits cailloux, avalons la poussière soulevée par le biquet de Chatillon mais malgré tout progressons. Mais plus nous grimpons, moins nous nous dirigeons vers le col. Au contraire, au bout d’une bonne demi heure de harassante montée, le chemin semble prendre une direction inverse à celle vers laquelle nous devrions nous diriger. Je hèle Jean Luc, l’appelle, le stoppe dans sa folle échappée et lui fait part de mon inquiétude. « Sommes nous sur le bon chemin ? » Jean Luc me confirme que nous ne nous sommes pas éloignés de la trace GPS mais pourtant le col est à l’est et le sentier part désormais à l’ouest. Nous reprenons le road book, le relisons, étudions la carte. Il faut se rendre à l’évidence, nous sommes parti en direction de l’Ardiden, en clair nous nous sommes plantés ! Consternation !

Nous tentons vainement une coupe sauvage plein est en direction du col au milieu des rhododendrons mais après un peu de jardinage, il nous faut se rendre à l’évidence, nous devons redescendre tout ce que nous avons peiné à grimper jusqu’à trouver la bifurcation indiquée car des barres rocheuses nous en barre l’accès. Déjà mis à mal par les difficultés, la fatigue, la chaleur, le moral en prend un sérieux coup. Jean Luc est confus de nous avoir mener sur cette fausse piste mais nous nous sentons tous coupable de cette erreur d’aiguillage sur ce terrain hostile. Dire que la descente est morose est un doux euphémisme d’autant que nous ne savons pas exactement où nous nous sommes trompés.

Le nez au raz du caillou afin de retrouver notre route, nous finirons par trouver l’embranchement. Nous en profitons pour se poser quelques minutes afin de reprendre nos esprits et quelques forces. C’est là que nous découvrons les indices de nos amis traceurs. Le pin minuscule sur le rocher pyramidale est microscopique, c’est une rareté de la nature, il doit mesurer 10 cm de haut ! Et les ruines annoncées peu visibles sont en fait un tas de pierres au milieu d’un champ de cailloux ! Nous sommes consternés mais pas plus avancés. Nous venons de perdre une heure, une heure de clarté, de l’énergie précieuse et pour ma part certainement un peu de ma sérénité et de ma lucidité.

Cap à l’est donc. Le chemin qui slalome entre les derniers pins rabougris est quasi inexistant. En fait, seul quelques cairns nous indiquent la trace à suivre parmi les pierres et les rhododendron. D’ailleurs, ceux ci ne tardent pas à disparaître tous comme les pins. Ne reste que des pierres qui deviennent des blocs. Pour accéder au col, il nous faut contrairement à ce que l’on pensait franchir ce chaos. Pendant plusieurs dizaines de minutes, il nous faudra ainsi marcher, sauter, escalader, jouer à l’équilibriste parfois de blocs en blocs. A ce jeu, l’homme de la plaine, Denis, n’est pas le plus à l’aise mais il finira par franchir l’obstacle. Un dernier pierrier bien raide et enfin nous atteignons le col, altitudes 2650 mètres, l’Enculaus ! Il est près de 19 heures et nous avons mis près de 6 heures, soit 1 heure 30 de plus que prévu, pour parcourir seulement 13 km mais néanmoins grimpé un dénivelé positif de 1600 mètres. Nous le paierons cher ….

Installés au sommet du col, dégustant un sandwich confectionné à Cauterets, tout juste remis de nos émotions provoquées par les difficultés rencontrées lors de notre ascension, nous sommes étonnés de voir arriver de nulle part, seule, une jeune anglaise par l’autre versant. Nous échangeons quelques mots et nous apprenons qu’elle se rend au refuge de Russel pour y passer la nuit. Stupéfaction !

Nous ayant déjà mis 1 heure 30 dans la vue, nous n’en avons pourtant pas fini avec l’Enculaus. En effet, nous devons rejoindre désormais le lac d’Antarrouye où nous devrions pouvoir reconstituer nos réserves d’eau et rencontrer un bénévole, sur un sentier toujours aussi peu marqué. Sur cette partie, nous devrons encore nous fier à quelques cairns et à la trace GPS pour nous orienter. Surtout, nous allons encore progresser de blocs en blocs, sauter de dalles en dalles, grimper, descendre, zigzaguer pendant plusieurs dizaines de minutes, voir une heure Il faut dire que j’ai perdu toute notion de temps, je flotte dans cet espace minéral.

Après avoir longé le lac noir, nous trouvons la cheminée qu’il nous faut escalader afin de sortir de ce dédale. Comme l’annonçait le roadbook, « Au delà les difficultés cessent » Effectivement, le parcours devient moins chaotique, on trouverait même les traces d’un sentier ! Un troupeau d’isards plus loin, nous finirons même par trouver le bénévole qui nous attend patiemment depuis quelques heures. Il nous accompagnera jusqu’au lac d’Antarrouye. Chemin faisant, ce brave homme, accompagnateur de montagne à ces heures perdues ne se lassent pas de nous parler de la suite du parcours. Il nous annonce une autoroute jusqu’à la prochaine base de vie située à Esquière Ceze.

Ayant pu boire à notre soif en puisant directement dans le lac (si, si, c’est possible) et reconstituer ainsi nos réserves, nous sommes donc tout ragaillardi lorsque nous quittons notre accompagnateur. Notre joie sera pourtant de courte durée et nous n’allons pas tardé à porter notre croix.

Au pays de l’ours sans sommeil

Lorsque nous repartons d’Antarrouye, il doit être 20h30 et le crépuscule est proche. Nous longeons à flanc de montagne le sentier de l’ancien canal de Caubarole (ancien canal d’irrigation des prairies de Pragnères). Peu de dénivelé, il est quasiment plat, herbeux, follement herbeux que nous ne voyons pas où nous mettons les pieds. Avec la nuit tombante, nous ne tardons pas à heurter des pierres cachées. Denis en heurte une, puis deux, s’agace, s’énerve. Je le sens tendu et cela me soucie En effet, ne le connaissant pas plus ça, je commence à imaginer qu’il envoie tout balader. Jean Luc, le plus en forme est plus serein ou du moins cache bien son jeu. Il trace devant. J’ai même l’impression qu’il ne se soucie guère de nos difficultés à l’arrière ce qui me tend d’autant. Pourtant, Jean Luc fait de son mieux pour nous guider sur ce flanc de montagne escarpé. Plus nous avançons et plus la progression sur ce flanc est difficile. Le chemin est devenu invisible, nous devons descendre dans les pentes herbeuses en nous accrochant aux quelques arbustes, remonter, longer pour tenter de suivre au plus près notre seul repère dans cet environnement hostile :la trace GPS. Du lac au sommet d’un téléphérique que nous devrions rencontré, le roadbook annonce 3 km, rien du tout surtout sur une autoroute comme celle-ci !!!

Le temps s’est arrêté, j’ai l’impression que nous progressons depuis des heures sur ce flanc de montagne qui s’avèrera être le territoire d’un ours et toujours pas de téléphérique. Je n’en peux plus, je suis las. En fait, la fatigue est en train d’agir sur moi comme une ombre dévore sa proie. Comme Denis, je me met à buter, je manque même de tomber dans le ravin. Épuisé physiquement et mentalement, j’appelle la direction de course pour prendre des informations car j’ai l’impression que l’on ne pourra pas s’en sortir. Ayant besoin de me défouler, je les traite de « grands malades » de nous avoir envoyé dans cette galère. L’appel n’est cependant pas vain car grâce à nos balises, ils réussissent à nous localiser et nous annoncent le téléphérique et la conduite forcée que nous devons forcément croiser à 1 km. Déclinant leur proposition d’abandonner, nous reprenons notre laborieux cheminement et finirons par trouver cette fameuse conduite. Nous nous croyons sauvé. En effet, à partir de là, nous devons trouver un sentier balisé rose-orange pour entamer une descente en lacet vers les prairies d’Arrode puis le village de Sia dont nous apercevons les lumières en contrebas.

Encore une fois, notre espoir sera déçu, nous ne trouvons pas le chemin. Je n’en peux plus, je n’en veux plus, j’abandonne toute initiative à Jean Luc qui se démène comme un diable pour trouver le chemin. Je m’assois avec Denis et en quelques secondes m’endort. Ais je dormi quelques secondes, quelques minutes, quand je rouvre les yeux, j’aperçois plus bas 2 lumières qui viennent dans ma direction ? J’imagine que ce sont les secours qui viennent à notre rencontre. J’appelle Denis sans succès, le hèle, crie « Denis » sans réponse ! Que se passe t’il ? Il s’avère vite que les 2 lumières sont celles de mes 2 camarades qui ayant enfin trouvé le chemin viennent me chercher ?. Effectivement, un bout de chemin balisé est là. Il est très peu marqué et les peintures très peu visibles si bien qu’on le perd, on le cherche, on le retrouve, on le reperd dans les herbes folles et les arbustes. J’en ai marre de ce tâtonnement sans fin, j’ai les mollets qui me brûlent, je veux dormir. Ayant perdu le chemin une énième fois, Jean Luc vaillamment le cherchant une énième fois, j’annonce à mes camarades que c’en est trop pour moi et que je vais dormir ici, dans l’herbe, je n’irai pas plus loin sans dormir. Denis, également épuisé, fera de même. Jean Luc lui ne dormira pas. Il profitera de notre sommeil pour retrouver le chemin puis attendra 1 heure que nous nous soyons reposé. Merci capitaine.

Comme convenu, une heure après, Jean Luc nous réveillera. Je ne sais plus quelle heure il est mais peu importe, il fait nuit noir. Contrairement à mes craintes, mes mollets se sont légèrement détendus et la reprise est supportable. Cette fois ci, le chemin est visible et nous pouvons descendre régulièrement en marchant, hors de question à ce moment là de progresser autrement. N’imaginez pas qu’à ce moment, nous sommes des chevaux de course, mais comparativement à notre progression chaotique précédente, nous avons l’impression d’avancer d’autant que, plus nous descendons, plus le chemin est praticable. Ayant perdu toute notion de temps à ce moment là, je suis incapable de dire aujourd’hui combien de temps durera cette descente. Longtemps, trop longtemps mais nous finirons par arriver au hameau de Sia. Il est alors entre 1 et 2 heures du matin, je ne me rappelle plus et notre balise s’étant arrêtée d’émettre, impossible d’en savoir plus.

Depuis Sia, le parcours doit rejoindre le prochain ravitaillement via une montée en direction de la croix de Sia puis une redescente dans les bois sur Saint Sauveur. Étant donné notre épuisement, nous décidons à l’unanimité de rejoindre directement Saint Sauveur puis le ravitaillement par la route. Là encore, impossible de dire combien de temps nous marcherons sur cette route. Je me rappelle juste que je marche à l’arrière du groupe trainant ma peine et ma fatigue sur cette route. Après avoir marché plusieurs kilomètres sur le bitume, traversé Saint Sauveur, nous arriverons précisément à 3h17 au ravitaillement d’Esquière Cèze. Nous avons perdu plus de 5 heures sur notre tableau de marche depuis Cauterets en 15 heures. Voilà plus de 66 heures que nous sommes parti, nous avons parcouru 191 km, gravi et descendu plus de 13 000 mètres. Nous avons peu dormi, nous sommes épuisé et sommes heureux d’arriver ici après la journée de galère que nous venons de vivre. Nous sommes heureux car nous savons que nous allons pouvoir nous restaurer, nous soigner , nous reposer avant d’aborder notre dernière journée (50 km et 3000 de dénivelé quand même)

Esquière Céze : la douche froide

Nous sommes d’autant plus heureux que nous retrouvons notre équipe de bénévole qui nous accueille chaleureusement comme à leur habitude. Privés de notre position du fait de notre panne de batterie sur le GPS, ils ne savaient pas quand est ce que nous allions arriver mais ils avaient confiance en nous et nous attendaient. Eux aussi semblent contents de nous voir arriver d’autant que nous sommes la dernière équipe, nos poursuivants ayant pris un raccourci pour rejoindre ce lieu. Avant d’arriver, nous avons décidé de prendre notre temps, nous sommes la dernière équipe à avoir franchi l’Enculaus et notre position est désormais figé. Nous ne sommes cependant pas seul car ce ravitaillement sert également de base de vie aux concurrents du 160 km. Nous assistons ainsi au passage des premiers concurrents de la course (pas les 5 premiers, dommage j’aurai pu saluer mon camarade d’enfance V Delebarre)

Alors que nous nous restaurons copieusement, c’est alors que Mister Magoo s’approchent de nous et nous livrent cette phrase qui résonne encore en moi :

« Vous n’êtes pas sans savoir que vous êtes hors délai ? »

Alors que nous commencions à reprendre des couleurs dans cette base de vie, Mister Magoo vient d’annoncer notre mort en même temps que notre mise hors course. Nous tombons des nues. Ayant perdu notre tableau de marche dans les rafales du Lisey, persuadé avoir passé la barrière couperet à Cauterets, ayant perdu toute lucidité au cours de notre galère depuis, nous avons (et moi en particulier, je m’en veux encore et vous prie de m’en excuser)  complètement oublié qu’il existait d’autres barrières horaires. La barrière était fixé à 3 heures du matin. Ainsi pour 17 malheureuses minutes, on nous met hors course. Jean Luc et moi sommes abattus mais tentons une négociation avec les organisateurs. Denis est hors de lui, on vient de lui briser son rêve, de réduire à néant les sacrifices qu’il a fait pour se donner les moyens de boucler ce raid.

Mister Magoo ne nous en veut pas, il est même désolé pour nous comme l’ensemble des bénévoles qui nous suivent depuis le début. Il ne fait qu’appliquer le règlement que nous avons accepté.

Jean Luc et moi décidons de continuer même hors course ainsi lorsque Mister Magoo revient nous voir avec une proposition de continuer sur le parcours du GRP 160 jusqu’à Aygues Cluses avec une pénalité de 11 heures (soit une heure de moins que les équipes n’ayant pas franchi le col de Culaus) nous acceptons tout de suite. Denis lui ne veut pas en entendre parler dans un premier temps. Je suis obligé d’aller négocier avec lui, de mettre en avant l’équipe pour qu’ils acceptent finalement de repartir avec nous afin que nous nous puissions être classé. Je pense aujourd’hui qu’il ne le regrette pas.

La décision de repartir prise sur le parcours de repli, nous décidons de prendre notre temps afin de recharger les batteries. On va ainsi profiter du confort de la base de vie pour manger, dormir et se faire soigner. Je suis tellement fatigué que je vais m’endormir alors que Sylvie est en train de panser mes ampoules.

Une matinée en mode champion

Le temps ayant passé, n’ayant plus de notes, je ne me rappelle plus de l’heure de notre départ. Il doit cependant être près de 6 heures lorsque nous reprenons notre route. Il fait encore nuit et le départ est morose. Denis ne digère pas qu’ils nous aient détournés sur un parcours de repli qui nous fait gagner 4 km et un peu plus de 500 mètres de dénivelé. Jean Luc n’est pas en forme, il n’a pas réussi à se reposer et il traine toujours ballant son bras gauche. Jusqu’à ce que le jour se lève, il trainera ainsi sa misère à quelques encablures de Denis et moi. Heureusement, le parcours est ici balisé, aucun risque de perdre le petit ! Je suis étonnamment en forme et Denis, s’il n’était pas de mauvaise humeur le serait aussi. Nous nous étonnons d’ailleurs que les quelques concurrents du raid 160 (qui sont encore dans le top 20) qui nous doublent ne nous dépassent pas plus vite. La levée du jour va finir d’ailleurs par nous réveiller, et c’est en rang serré et sur un rythme accéléré que nous rejoignons Tournaboup où nous croisons la route qui monte au Tourmalet par son versant ouest Nouveau ravitaillement, nouveau casse croute pour nous, celui ci n’étant pas prévu puisque nous sommes sur un parcours de repli, et nous voici reparti à l’assaut des dernières difficultés en direction de la cabane d’Aygues Cluses par le magnifique vallon du même nom dans une forme étonnante pour des raideurs qui ont déjà parcouru plus de 200 Km.. Jean Luc et Denis profitent d’un appel de ma part à Serge pour me distancer. J’ai beau accéléré, me mettre au rythme d’un concurrent qui me double, pas moyen de les rattraper. Cette fois-ci, ils ont mis le turbo. Plus loin, Denis m’attend, il s’est calmé et est désormais motivé pour mener à bien cette aventure. Nous reprenons de concert notre ascension, nous accélérons pour revenir sur notre capitaine, nous calquons notre rythme sur un cador qui nous double, trottinons sur les plats, bondissons de pierre en pierre, accélérons encore pour enrhumer les randonneurs qui ahanent le long du chemin. Rien n’y fait, nous ne reverrons notre capitaine qu’à la cabane d’Aygues Cluses où il nous attend affalé dans l’herbe en train d’attaquer son énième casse croute. Il a bien récupéré le bougre et nous aussi. Nous nous étonnons encore de notre capacité de récupération après tant d’effort. Nous nous étonnons d’avoir un rythme proche des premiers du raid 160 qui ne sont partis que depuis 24 heures. 1 à 2 heures de sommeil à Esquière Ceze auront suffi à nous redonner de l’énergie. La chaleur du soleil toujours présent depuis le départ nous aide également à nous sortir de la torpeur qui nous avait enveloppé la nuit dernière.

Cabane d’Aygue Cluses : dernière halte

Quelques minutes après notre arrivée alors que nous sommes en train d’avaler notre énième couscous déshydraté, nous voyons arriver sur l’itinéraire du raid l’équipe des ultra-castors. Les bénévoles présents pensent que c’est la troisième équipe et que nous sommes second. En fait, avec le jeu des pénalités, nous sommes troisième derrière une équipe qui n’est pas encore passé et avons une heure d’avance sur les castors. Toujours est il que cela nous presse à repartir car les gaillards ne font qu’une courte halte. Nous profitons d’une mauvaise lecture du terrain de leur part pour les précéder sur le chemin qui nous mène à la hourquette Nère, la dernière difficulté du parcours qui pointe à près de 2500 mètres. J’ai pris la tête de notre maigre groupe avec les ultra castors qui nous suivent à distance et trace à vue, vérifiant seulement de temps à autre que nous nous éloignons pas de la trace. La montée au col se fait sans problème, la troupe sentant l’écurie ne renâcle pas. Au col, il ne nous restera plus que 20 km et plus que 300 mètres à grimper. La suite est facile, le terrain m’est familier, je continue donc à mener bon train. Jusqu’au refuge de Bastan, situé 5 kilomètres plus loin, je mènerai donc le trio, me contentant de vérifier de temps en temps que mes camardes me suivent. Les ultra castors nous doubleront lors d’une pause que nous nous accordons auprès d’un laquet dans lequel Denis prendra un petit bain. Nous les dépasserons de nouveau au refuge Bastan où nous saluons la gardienne qui nous reconnaît. En effet, lors de notre reconnaissance du lundi, nous étions passé et avions bu une mousse en ce lieu. Nous avions donné rendez vous à la gardienne ce samedi am. Nous y sommes et comme prévu, nous passons au refuge à peu près à l’heure convenue ! Mais pas de mousse cette fois ci, elle nous attend 18 km plus loin et si on veut la boire pour l’apéro il ne faut pas musarder. Je reprend la tête du groupe et trace cette fois ci notre route à travers les nuages qui nous ont rattrapé. Ils ne seront pas méchants, ils donneront juste un peu de bruine ce qui nous rafraichira lors de notre descente finale vers Viel Aure. Le ravitaillement du refuge de Merlans est bientôt en vue mais pour une fois nous le zapperons. Il nous tarde cette fois de rentrer car de nouveau la fatigue en même temps que les nuages nous a rattrapé. Est ce l’ambiance extérieure, grise et basse qui déteint sur moi, mais mon ressentiment de cette dernière partie de parcours est morose alors que je devrais être euphorique si près du but. Au col de Portet, le dernier à franchir, nous croisons Mickael, le fils d’Olivier et de Valérie qui part à la rencontre de son père qui est lui sur le parcours du GRP160 que nous venons de rejoindre à Merlans. Nous avons ainsi pour la première fois depuis son abandon des nouvelles de Laurent. On sait ainsi qu’il nous attend pour nous accueillir à l’arrivée. Le col franchi, il nous reste 12 km de descente pour un dénivelé de 1500 mètres. Ces derniers kilomètres seront pénibles, les quadriceps sont à l’agonie dans cette descente qui se fait d’abord sur les pistes de ski. Nous descendons comme nous le pouvons et nous nous faisons maintenant doubler par les concurrents du GRP160 bien plus fringants que nous. A Espiaube, soit à 7 km du but, c’est maintenant l’équipe de Verbier Saint Bernard qui nous double. Ils ont dépassé les ultra castors et filent vers la 4ème place du raid car eux aussi ont une heure de pénalité de plus que nous. Ils nous doublent en courant sur un bon rythme. Ils finiront 30 minutes avant nous mais seront donc classer une demi heure derrière. Néanmoins, pour protéger notre place, nous nous efforcerons de trottiner de temps à autre sur les derniers kilomètres. Cela ne sera pas suffisant pour empêcher les ultra castors de revenir. Eux aussi finiront avant nous (11 minutes) mais seront classer 5 ° au jeu des pénalités.

Mes souvenirs des derniers kilomètres sont étranges. Jean Luc essaie de nous motiver pour courir, ce qu’ils arrivent à faire contrairement à moi. Je cours avec difficulté mais à contre cœur. La proximité de l’arrivée qui marquera la fin de cette aventure ne m’encourage pas à me dépêcher. Malgré tous ce que l’on a enduré, la fatigue, les douleurs, les galères et notamment celle de la dernière nuit, je ne suis pas pressé de rentrer, je continuerai volontiers à musarder dans cette magnifique montagne pyrénéenne.

Mais trêve de rêvasserie, les premières maisons de Vignec, village situé à un bon kilomètre de l’arrivée approchent. Nous entendons désormais la sono de la course et les éclats de voix du speaker qui anime l’arrivée. Nous croisons désormais des spectateurs qui sont constitués de parents, d’amis qui attendent leur champion. Ils nous applaudissent, nous encouragent alors nous nous efforçons de trottiner dignement malgré toutes nos douleurs et nos tensions. Nous ne parlons plus, n’échangeons pas mais je sens que l’émotion monte en chacun de nous lorsque nous joignons Viel Aure au milieu des champs sur cette route étroite qui a du voir tant de larmes.

Cette fois, ça y est, nous sommes dans les rues de Viel Aure, plus que quelques dizaine de mètres à parcourir. Plus de douleurs, plus de fatigue, juste de l’émotion d’être allé au bout de cet exceptionnelle aventure. L’émotion va encore monter lorsque nous apercevons Laurent qui nous attend. Nous pouvons alors parcourir en équipe de 4 les quelques dizaines de mètres qui nous séparent de l’arrivée.

Nous franchirons la ligne à 17h16 soit exactement 80 heures 16 minutes et 55 secondes après notre départ. Nous aurons parcouru environ 230 km et grimpé ou descendu environ 15 000 mètres. Nous sommes fatigué mais franchement heureux et fier d’être aller au bout de ce défi qui s’est révélé être une formidable aventure.

Remerciements

  • Merci à mes camarades de course, Jean Luc, Laurent et Denis
  • Merci à mon capitaine de m’avoir entraîner dans cette aventure et d’avoir su nous mener au bout de cette aventure
  • Merci à Denis d’avoir accepter de terminer la course et de ton excellent état d’esprit
  • Merci à Laurent pour son accueil à l’arrivée.
  • Merci aux organisateurs pour cette magnifique course, pour son organisation parfaite et pour sa chaleureuse ambiance aux antipodes de la frénésie de l’UTMB. Ne grandissez pas trop !
  • Merci à Pépé, le traceur, pour ce magnifique parcours
  • Merci aux « grands malades » de nous avoir envoyé dans l’Enculaus, sans qui cette aventure se serait révélé au final beaucoup plus terne
  • Merci aux bénévoles, Sylvie, Mister Magoo et aux autres pour leur attention, leur gentillesse, leurs encouragements
  • Merci aux Pyrénées de nous offrir de si beaux paysages
  • Merci à la météo pour ces 4 jours de soleil

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